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Alfred de Vigny. Œuvres relues, longs rayons sans chaleur d’un été polaire avant l’interminable nuit !

Je serai sous la terre et fantôme sans os
Par les ombres myrteux je prendrai mon repos
Vous serez au foyer une vieille accroupie…

Mais celles qui, rafraîchies à la jeunesse, y redeviennent les « roses de la vie », celles à qui ne manque pas ce culte renouvelé que leur veut Mallarmé, sont-elles celles-là seules, celles-là surtout qui avec telles pages de théâtre, de roman et de lyrisme, de Racine, de Rousseau ou de Lamartine, vont prêter aux désirs soulevés du cœur la clarté de leur conscience et le battement de leur musique ? ou celles-là qui plus loin encore éveillent sur nos fibres profondes les basses les plus graves du sentiment humain ? Peut-être non... Lorsqu’autour d’Ulysse affluent les ombres, altérées du sang tiède, celle que, toutes les autres et celle même de sa mère écartées, il y convie la première, est l’ombre de Tiresias, le devin et le sage, aux énigmes ambiguës. Et je ne sais si aux yeux d’élite qui éclosent à la lumière sacrée du livre, rien, même la plus ardente page de tendresse, prend une vie aussi intense, aussi purifiée que certaines pages d’altitude mystérieuse. Une, deux, trois générations de jeunesse se sont émues de Saint-Preux, de Werther ou de Rolla ; mais je doute que rien égale en ferveur et en culte délicat, rien, pas même la science que l’étude en obtient plus tard, les premiers déchiffrements, par une intelligence bien née, du Parménide ou de l’Éthique, la boucle de cheveux coupée par le blond Novalis « sur la tombe du saint et méconnu Spinoza ». Mieux, bien mieux que la clarté immédiate, une telle jeunesse aime, au moyen de quelque belle obscurité, une clarté future dont la conquête est pour elle une action, une page de vie. Et ce culte elle ne le rend — c’est sa pierre de touche — qu’à ceux qui prouvèrent leur œuvre par leur vie, qui de leur propre foi donnent une raison à la foi d’autrui. La vie qui fut sacrifiée à une œuvre lui fait une