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rence sur Villiers de l’Isle Adam, et il évoque le « pays prestigieux toujours par lui (Villiers) habité et maintenant surtout, car ce pays n’est pas[1] ». On reconnaît presque les termes du bouffon. Vivre dans le rêve, c’est s’habituer à la mort, c’est en anticiper noblement la pureté. « Tu es ton futur créateur, dit à Axël maître Janus. Tu es un Dieu qui ne feint d’oublier sa toute essence qu’afin d’en réaliser le rayonnement. Ce que tu nommes l’univers n’est que le résultat de cette feintise dont tu contiens le secret. Reconnais-toi ! Profère-toi dans l’Être ! Extrais-toi de la geôle du monde, enfant des prisonniers. Évade-toi du Devenir ! »

Voyez là un platonisme spontané repensé par les artistes. Toute vie philosophique, dit le Socrate du Phédon, n’est qu’une préparation à la mort. Et la pensée grecque aimait à se jouer autour de cette question que le christianisme embrassa d’une si sérieuse et logique passion : Qui sait si la vie n’est pas une mort et si ce n’est pas la mort qui est la vie ?

Ce que Socrate affirme du philosophe, ce que la religion affirme du chrétien, Mallarmé à chaque occasion l’affirme du poète. Toujours ses hommages funéraires sont construits sur le même thème, lieu commun si l’on veut, mais lieu commun senti, transfiguré et lyrique ; le poète, du moment où il est mort, a commencé à vivre la vraie vie, celle de son œuvre. La vie qu’il vivait a fait place à la vie pour laquelle il vivait. C’est ce que le positivisme a rendu par son beau sacrement de l’incorporation. Le Tombeau frêle de Poe figure une variante réduite du sarcophage sévère et massif, du porphyre où le Toast Funèbre enferme Théophile Gautier.

Le rite est pour les mains d’éteindre le flambeau
Contre le fer épais des portes du tombeau,
Et l’on ignore mal, élu pour notre fête
Très simple de chanter l’absence du poète,
Que ce beau monument l’enferme tout entier.

  1. Villiers, p. 77.