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cuper, se tourmenter de cette durée permanente, solide, indéfinie, de cette durée faite de dureté, qui porte un peu de consolation et d’orgueil aux poètes d’inspiration pénible, de veine rare.

Ce que Malherbe écrit dure éternellement,

et de réaliser dans son œuvre, libérée de toute gangue, de tout déchet, de toute actualité (bien que, comme Malherbe, il ait fini par n’écrire plus que des vers de circonstance, à des occasions), le poète

Tel qu’en lui-même enfin l’éternité le change.

De cette visée provient une part de ce qui chez lui déconcerte. Fournir une matière de songe, d’allusion indéfiniment active, éliminer la rhétorique, l’éloquence, qui dateraient rapidement et donneraient impression d’habitude et de déjà vu, trouver à chaque sujet une forme nouvelle, à chaque phrase un moule nouveau, afin de ne pas laisser prise au procédé, investir les mots d’une signification essentielle et purifiée, conserver la parole sous des voiles de blancheur et de silence, tout cela forme autant de précautions et de défense contre l’injure du temps, de volonté patiente à conquérir, dans la misérable mesure humaine, une figure éternelle. De là naît pareillement son esthétique paradoxale du Théâtre et du Livre. Il a compris avec une dignité et une abnégation superbes que la fonction du poète c’est précisément de tenir, au-dessus de la parole et de l’écriture, qui roulent, cette prêtrise de la durée. Le vers pour lui porte son trait le plus divin dans son caractère définitif (ce qui ne l’empêchait pas de corriger fréquemment les siens dans les éditions nouvelles) « mot total, neuf et comme incantatoire » il l’emporte par la durée sur les mots isolés qui vieillissent, ou mieux il leur communique sa durée tant que subsiste la langue.

J’ai parlé d’une prêtrise de la durée. C’est à une attitude religieuse que tiennent en effet ces aspects de Mallarmé. Il conçoit le temps en idéaliste mystique, avec