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ment aisé, à cette dispersion progressive d’une brume bleue qui déserte par un matin de paix les toits et les tours de Bruges. Impression qui fournit aux deux quatrains leur motif apparent et pittoresque. Mais visiblement Mallarmé a voulu l’identifier par une correspondance subtile à un fait très ordinaire qui est une forme normale de la paramnésie : croire, après quelques instants d’une compagnie nouvelle et sympathique, que toujours nous l’avons connue. Le temps se matérialise dans cette vapeur molle, brumeuse, couleur encens qui flotte autour d’une ville du Nord, un beau jour d’été, et que semblent exhaler les pierres qui s’en dévêtent. Tout cela n’existe pas, n’a d’autre être, d’autre « preuve » selon le langage familier à Mallarmé, que l’acte de donner un recul indéfini, des causes anciennes, une figure immémoriale, au moment soudain d’une amitié nouvelle. L’intensité joyeuse se manifeste par un dégagement de passé, qui en émane, et auquel elle semble au contraire suspendue, comme faisait dans le Démon de l’Analogie l’intensité douloureuse d’une hallucination. Les tercets prolongent, en une image, blancheur, plumes, à peine nouvelle, tant elle se fond en la brume dévoilée, envolée de Bruges, la douceur et la paix des quatrains. La paramnésie semble ici un coup d’aile pour dépasser les conditions du temps, comme l’analogie en un éclair annule les divisions de l’espace et de la logique. Elle invente subitement une correspondance dans la durée, comme la métaphore invente subitement une correspondance dans l’étendue.

Ailleurs, cherchant une philosophie à l’art du mime, il la trouve dans un hymen « entre le désir et l’accomplissement, la perpétration et son souvenir : ici devançant, là remémorant, au futur, au passé, sous une apparence fausse de présent[1] ». Les actions que figure le mime sont tantôt des souvenirs et tantôt des projets. De sorte que dans cet art, et généralement dans l’ensemble

1. Divagations, p. 187.

  1. Divagations, p. 187.