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CHAPITRE XIV

LES ORDRES NÉGATIFS

Les données un peu disparates que j’ai dû juxtaposer sur la logique de Mallarmé s’éclairciront peut-être quand j’aurai pris un exemple précis, et relevé le profil de la pente logique la plus constante qu’ait creusée et où coule son génie : son idée de ce que j’appellerais les ordres négatifs.

J’ai dû faire allusion déjà à ce mouvement tournant patient et subtil par lequel, ce qu’il y avait en lui d’incapacité un peu volontaire à s’épanouir, il sut l’investir d’un signe positif, et, par le courage de son idéalisme, faire passer à l’être un défaut d’être. Son œuvre correspond, dans l’art poétique, à ce que sont, à l’autre pôle, les mathématiques des quantités négatives.

Observons d’ailleurs que l’idée d’être, la vérité de nos hallucinations, ne constituent qu’un accent mis sur nos perceptions communes, sur les perceptions communes aux hommes, non en tant que perceptions, mais en tant que communes. La croyance au monde extérieur est, d’un certain point de vue qui ne se suffit d’ailleurs pas à lui-même, un acte de foi en la société, et son existence ce sont les perceptions des autres. Idéaliste, Mallarmé place comme un Vigny ou un Villiers cet accent sur le