Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/137

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fait pour conquérir l’assentiment, mais bien plutôt pour le raréfier autour de lui, ce poète s’éloignera, par le même écart, de la logique courante, et les seuls faits, tout nus dans leur apparent hasard, de sa conscience qui s’éprouve, de sa durée qui s’écoule, de ses idées qui s’associent, lui paraîtront, indépendamment de toute liaison artificielle puiser à une source haute une logique pure. De là le Démon de l’Analogie, le Nénuphar Blanc, ces essais qui déroutent le lecteur en le plaçant à l’intérieur d’une pensée, dans un rythme d’analogies successives. Insister, développer, enchaîner, surchargerait le papier, empâterait sa substance ténue et spirituelle. Le goût de Mallarmé laisse au lecteur ami le soin et le plaisir de cette besogne, et à l’autre lecteur il épargne même lu peine de la tenter.

Il est curieux de voir deux génies aussi fraternels que Villiers et Mallarmé couler ici sur des pentes contraires. Villiers accumule des pages fortes, un peu pénibles, des concaténations forgées maille par maille, anneau par anneau, où des raisons, des considérants, des déductions jusqu’à épuisement déroulent cette verve logique dont le Monde Tragique dans Axël offre un exemple à la fois colossal et fastidieux. Verve logique, que peut-être Mallarmé enviait et admirait, ainsi qu’il faisait de la verve lyrique de Banville. Peut-être lui paraissaient-elles deux trésors illimités, des écroulements d’or comme celui d’Axël. Mais pour lui, dans chacune de ses mains, de ses mains presque vides, la destinée avait mis la même valeur en deux gemmes non classées, et sans prix courant.

Cependant cette logique d’images fondée sur l’analogie paraît aboutir quelquefois aux mêmes fins que la logique d’idées organisée par le raisonnement. La passion idéaliste de Mallarmé l’amène à des images-types, celles du mot, du vers, du Livre, non à des idées, mais à ces Idées, qui se balancent solitairement sur sa plus haute pensée. La recherche fanatique de l’absolu ne paraît chez lui concorder que par un biais très détourné