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Leur montre, d’ailleurs excellente, est réglée à l’heure de Boileau.

Le poète lyrique ne dit pas que l’année à peine a fini sa carrière. Il y fait allusion, moyen pour nous induire à la tristesse même du temps qui passe. Il ne nous apprend rien par cette notion, mais il s’en sert pour que nous éprouvions avec intensité un sentiment humain. Prenez au contraire des vers quelconques de Racine, ouvrez Andromaque à la première scène. Avec de l’imagination et de la tendresse nous ressentons, je veux bien, l’amour d’Oreste, mais notre plaisir malgré tout demeure d’intelligence. Nous le ressentons et nous le vivons parce que nous le voyons dans une clarté, que les jeux successifs de l’amour, les courbes de sa logique sont représentés, analysés avec une certitude divinatrice, et que simplement la beauté des vers paraît la fleur et la santé de leur lumière limpide.

Il était nécessaire que dans deux ordres poétiques si différents apparussent des genres distincts, que le lyrisme manquât à l’art classique, et que le théâtre, art propre du xviie siècle, entre les mains du lyrisme romantique, ne pût produire un chef-d’œuvre. Le théâtre propose des caractères à comprendre, et non — si ce n’est sous les formes populaires et déchues — des passions, des sentiments à épouser. Aimez donc la raison, dit Boileau, et le théâtre de Corneille et de Racine est, même dans ses plus violentes explosions, un enchaînement de raisons. La doctrine aristotélicienne sur la purification des passions par leur intelligence est la pierre angulaire de l’exthétique théâtrale : le chef-d’œuvre de Racine, sa Phèdre, en arrache, par-delà les Visionnaires et les Maximes sur la Comédie, l’aveu au jansénisme même. Le Romantisme, au contraire, dans ses personnages, cherche un état lyrique à nous faire adopter, ce qui le rend courtisan de la passion. Aussi quelle énormité instructive que celle d’un survivant du romantisme, M. Rostand, dans ce vers qui confond l’art de Phèdre et celui la Tosca !