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vapeurs lumineuses, le symbole y devient plus suggestif que le symbole strict, technique, mesuré par son expression même d’Hérodiade (je ne dirai pas de l’Après-Midi.) La conscience et le dessein trop visibles risquent de le glacer à ses sources.

Recréer une émotion au lieu de la décrire, résumerons-nous d’un mot ce qui précède. Et ce principe ou cette visée, beaucoup l’appelleront le paradoxe mallarméen. Paradoxe nullement. La doctrine et l’art de Mallarmé ont des origines très précises dans l’histoire de notre poésie, aux grandes lignes de laquelle j’essaierai de les relier.

Il est faux (j’aurai lieu d’y revenir) que Mallarmé ait conçu la poésie comme une musique. Il ne demande à la musique rien de ses moyens, mais il voudrait par d’autres voies — les voies naturelles du verbe — arriver à certains de ses effets, transposer dans la poésie ce qui est la vertu propre de la musique : cette puissance même de suggestion.

« Observez que les instruments détachent, selon un sortilège aisé à surprendre, la cime, pour ainsi voir, de naturels paysages ; les évapore et les renoue, flottants, dans un état supérieur. Voici qu’à exprimer la forêt, fondue en le vert horizon crépusculaire, suffit tel accord dénué presque d’une réminiscence de chasse ; ou le pré, avec sa pastorale fluidité d’une après-midi écoulée se mire et fuit dans des rappels de ruisseau. Une ligne, quelques vibrations sommaires, et tout s’indique, contrairement à l’art lyrique, comme il fut, élocutoire, en raison du besoin strict de signification »[1].

Besoin de signification, telle est, pour la poésie dans son effort vers une essence de lyrisme, la pierre d’achoppement. Tout mot signifie quelque chose, et signifier ce n’est pas suggérer. Cependant, si chaque terme, si chaque phrase « signifie » cette signification peut être amoindrie, estompée, réduite à une influence, à une

  1. Théodore de Banville (Divagations, p. 120).