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dans son entier, mais après nous l’avoir présentée de biais et dans un éclair, nous demande de lui rendre par notre sympathie son assiette et sa clarté. Lisez par exemple le délicieux Éventail de mademoiselle Mallarmé. Chacune des cinq stances, comme les cinq plumes aériennes de l’éventail même tient en ses termes contournés et précieux une signification indéfinie, non indéfinie parce qu’elle est vague, mais indéfinie parce qu’elle disperse loin les ondes d’un sens souple et vivant.

Ô rêveuse, pour que je plonge
Au pur délice sans chemin,
Sache par un subtil mensonge
Garder mon aile dans ta main.

Une fraîcheur de crépuscule
Te vient à chaque battement
Dont le coup prisonnier recule
L’horizon délicatement.

Vertige ! voici que frissonne
L’espace comme un grand baiser
Qui, fou de naître pour personne,
Ne peut jaillir ni s’apaiser.

Ce poème plaît comme un symbole fort clair de la poésie mallarméenne. Il fait songer à ce personnage des contes de Grimm qu’un géant défie de lancer aussi haut que lui un caillou. Le caillou du géant disparaît presque dans les nuages, puis retombe. L’autre lance un oiseau vivant qu’il avait dans sa poche, qui monte aussi loin, se perd et ne retombe pas.

Un jet d’eau qui montait n’est pas redescendu

dit le meilleur vers de Catulle Mendès.

Un poème de Mallarmé se définit une puissance de suggestion. Mais ne pensons point qu’aussi bien et au gré de la fantaisie, il suggère au lecteur, selon l’inspiration de l’heure, ce qui lui plaît. Ces poèmes en somme doivent être lus comme d’autres, à la différence près