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nécessaires comme son élément de fraîcheur à la réalité de la vie.

On s’éclairerait mieux par une comparaison entre l’Après-Midi d’un Faune et Vera, un des maîtres contes de Villiers. D’une façon saisissante, les deux œuvres sont nées du même esprit, mais l’une lyrique et dont la flûte verse « aux bosquets arrosés d’accords » toute l’intimité du poète, l’autre superbement impersonnelle.

Ô nymphes, regonflons des souvenirs divers !

La Syrinx dans l’Après-Midi, la clef du tombeau dans Vera, ouvrent pareillement l’univers intérieur à celui qui mérite d’y croire et d’y vivre ; mais pour le faune mythologique comme pour l’époux de Vera, la vie intérieure est faite de souvenirs, les souvenirs sont faits de la vie palpitante d’où monte leur ardent nuage, non encore en fumée de songe, mais en flamme alors exaspérée et douloureuse.

Tu sais, ma passion, que pourpre et déjà mûre,
Chaque grenade éclate et d’abeilles murmure,
Et notre sang, épris de qui le va saisir,
Coule pour tout l’essaim éternel du désir.
Une fête s’exalte en la feuillée éteinte,
Etna, c’est parmi toi visité de Vénus
Sur ta lave posant ses talons ingénus...

sans préjudice des moments d’orgueilleuse joie, des jours où dans l’oubli de toute matière et de toute vérité, le monde intérieur étale la mer d’huile d’un Pacifique illimité ! Ces moments où, pour Mallarmé, se développait une ampleur de délivrance, où surnageait sans poids et libre la fleur intacte de la vie idéaliste, j’imagine qu’il les obtenait, sur la Seine ensoleillée, de la yole solitaire aimée jalousement ; et c’est l’un d’eux que me rendent nu, tout frais, sous ses rosées, d’un matin que nul pas n’effleura, les pages du Nénuphar Blanc.

Un tel idéalisme, combinaison de nature et d’artifice,