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cydide nous apparaît bien comme un fils de la thalassocratie athénienne par son réalisme et en somme son chrématisme secs. Écoutons-le dans les premières pages de son histoire, où, obligé d’expliquer par des interprétations personnelles une antiquité mal connue, il laisse mieux apparaître ses sentiments propres. Avant Minos, l’état normal de la Grèce est la piraterie sur mer et le brigandage sur terre ; tout le monde vit armé chez les Barbares. Mais plus tard l’ordre naît et les cités environnées de remparts peuvent s’installer sur le bord de la mer. Cet établissement de l’ordre tient pour Thucydide en une phrase : « L’intérêt engagea les faibles à se soumettre aux forts, et les plus puissants par leurs richesses assujettirent les petites cités » (I, 4). Deux causes cyclopéennes, deux puissances brutales établissent le bienfait de l’ordre : la force matérielle et la richesse. La thalassocratie athénienne, héritière de celle de Minos, trouve sa paix et sa guerre, son être et sa ruine, sa vie en somme, dans leur double poursuite.

Thucydide les connut l’une et l’autre, et sans doute les aima l’une et l’autre. Général d’Athènes et maître des mines d’or, conscient de sa claire intelligence, il pensa peut-être un moment, comme Alcibiade mais mieux que lui, les posséder et les mener de front. La fortune clairvoyante distingua les deux destinées, lui enleva la force et lui laissa la richesse. L’histoire, la connaissance des causes, l’idée lumineuse et vivante de la guerre où il n’agissait plus, lui tinrent lieu de ce qu’il perdait. Mais par son opulente fortune, par les revenus que lui apporte l’exploitation de ses mines, il demeure lié à l’Athènes maritime, marchande, inquiète d’expansion, à laquelle s’était déjà attaché, hôte de l’Attique et colon de Thurii, l’ancien Hérodote. L’histoire ne saurait