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surtout une étiquette mise sur les migrations du monde hellénique.

Il y a ainsi une opposition harmonieuse entre la vérité historique telle qu’elle résulte de Thucydide et la vérité esthétique telle que la comprend un poète. L’historien disperse comme le poète concentre. Le génie d’Homère, comme on l’a dit cent fois, consiste à avoir choisi dans l’histoire du siège de Troie un épisode type, la colère d’Achille, ou plutôt la querelle d’Achille et d’Agamemnon, à s’être servi de cet épisode type pour exprimer tout l’intérêt dramatique du siège de Troie et de son histoire de dix ans, tout le cycle de sentiments qui peuvent animer sous le regard de dieux vivants une humanité virile et guerrière. À l’extrémité de cette direction on trouve la tragédie classique et ses trois unités. L’interprétation historique des données homériques consiste chez Thucydide à détendre dans l’espace et à diluer dans la durée ce tableau concentré, à en conserver les éléments qui intéressent toute la guerre de Troie, à conserver de la guerre de Troie ceux qui intéressent les côtes grecques d’Asie Mineure et les migrations de peuples, de cette histoire des siècles anciens ce qui intéresse l’histoire totale de la Grèce dont il va conter un épisode nouveau, et, à la limite de cette histoire grecque et de cet épisode, ce qui doit intéresser éternellement l’histoire humaine, le κτῆμα ἐς ἀεί.

Le sujet de l’Iliade est une discorde intérieure embranchée sur un conflit de peuples. La guerre troyenne est complétée par la guerre d’Agamemnon et d’Achille, mais en réalité cette guerre et cette querelle, expression du même homme passionné, bouillonnement du même θυμός, puisent leur vie aux mêmes racines. Comme la mort de Patrocle et la déférence d’Agamemnon apaisent