même de loin, de la culture politique chez Thucydide. La quantité et la qualité même de la culture féminine et morale, chrétienne et française, qu’il a fallu pour produire un Pascal et un La Bruyère, un Stendhal et un Sainte-Beuve, transportons-les à la culture exclusivement masculine et politique que peut présenter chez les Grecs un Thucydide. Voyons dans cette culture politique donnée par le génie de la cité antique l’équivalent de la culture intérieure donnée par le génie de la Cité de Dieu. Un même nombre, une même loi, ici dans le milieu politique et là dans le milieu moral : un Discours sur les passions de l’ambition forme avec Thucydide la somme oratoire d’une civilisation, comme un Discours sur les passions de l’amour donne le schéma verbal d’une autre civilisation. L’ambition et l’amour sont faits du même métal et ces hommes aussi. Ils se répondent en des groupes alternés avec ce même équilibre établi dans les deux moitiés de l’Apothéose d’Ingres.
On comparerait facilement le génie de Thucydide et le génie de Montesquieu, mais moins facilement la place et l’assiette de ces deux génies dans leur temps. Un Montesquieu occupe moins qu’un Rousseau et un Voltaire, moins qu’un Pascal et un La Bruyère le centre des idées, des préoccupations et de l’être même de son époque. Si l’homme antique est avant tout un animal politique, l’homme moderne, surtout chrétien et français, est davantage un être religieux et social. Sa religion ou les succédanés sentimentaux qu’il donne à cette religion, les sociétés multiples et complexes auxquelles il appartient avant d’appartenir à l’État, la « société » surtout, et le « monde », termes qu’il serait aussi impossible de faire passer dans une langue ancienne que chocolat et tabac, tout cela désigne bien comme centre