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a appréciés fort diversement, mais qui ont donné à l’Europe cent ans sinon de paix, tout au moins de stabilité relative, pendant lesquelles le génie européen a fait subir à la planète entière une transformation dont il n’y a d’exemple même lointain dans aucune époque. Il est même bien possible que ces cent ans apparaissent pour longtemps dans l’histoire comme un îlot aussi lumineux et un paradis aussi perdu que le siècle des Antonins : grande occasion de relire ou plutôt de refaire, en la plaçant en 1914, l’Uchronie de Renouvier.

La fermeture du temple de Janus était une fin parce qu’elle consacrait l’existence d’une réalité, l’empire romain. Les traités de 1815 étaient une fin parce qu’ils mettaient sur pied une réalité, — une Europe. Les traités de la banlieue parisienne (Versailles, Saint-Germain, Neuilly), ne sont pas une fin, parce qu’ils consacrent et précipitent l’effondrement de cette réalité ancienne qu’était l’Europe, et n’arrivent pas à en faire sortir la réalité nouvelle de la Société des nations. La paix de Lysandre n’était pas une fin, parce qu’après comme avant elle, il n’y avait pas de Grèce politique, parce qu’après comme avant elle, le mot Grèce restait une expression dont le contenu signifiait intérêts incompatibles, discordes nécessaires, cités ennemies, individualisme. Il fallut que la « société des cités » fût imposée du dehors, et à un prix plutôt élevé, par la Macédoine. Ce qui demeure de l’Europe au sens politique, au sens que l’on place dans le mot de puissances, ne consiste plus que dans les liens qui unissent les trois seules « puissances », subsistantes, l’Angleterre, la France, l’Italie. Le reste est tombé en débris après la grande explosion centrale. La mise en présence des deux puissances anglo-saxonnes et d’un moignon d’Europe ici, d’un