Page:Thibaudet - La Campagne avec Thucydide, 1922.djvu/255

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

saire, répartie sur toute l’Europe, avec les tragédies propres à l’âme de chaque nation et sous le tourbillon commun qui a fait jaillir de ces âmes, au contact les unes des autres, leur feu propre. On en aura une idée en considérant la maquette, pleine de bon vouloir et d’utilité, qu’a donnée M. Barrès dans les Familles spirituelles de la France : de ces touchantes et naïves figures de bois peut sortir une grande statuaire à la Thucydide, où l’on trouvera plus d’art et de vérité, mais à laquelle des simples à une extrémité et des raffinés à l’autre pourront préférer le vieux ξοάνον.

La guerre du Péloponèse fut l’atelier idéal d’une telle sculpture. Comme trois vers d’Homère donnent à Phidias l’idée de son Zeus Olympien, les vieilles figures homériques paraissent prendre, en une atmosphère nouvelle et sous l’inspiration d’un génie suprême, des formes plus complexes, plus puissantes, plus universelles, Hector à Sparte, Ulysse à Athènes, Achille partout. Un Brasidas et un Lysandre, un Périclès et un Alcibiade sortent de la guerre comme des bronzes de la fonte. Sans la guerre, Clemenceau aurait fini en vieux bougon à épigrammes pour couloirs du Sénat et colonnes mal écrites de journal ; la guerre en a su dégager les puissances d’étonnante vitalité, modeler comme un Rodin le Français dont les qualités héréditaires ont saisi la victoire et dont les défauts traditionnels en ont gaspillé en partie les fruits. En tout cas le psychologue de la guerre retiendra cette figure avec le même soin que l’historien de la guerre du Péloponèse et de la fortune d’Athènes retient la figure d’Alcibiade. Le poids dont ont pesé sur les destinées de la planète les individualités d’un Clemenceau, d’un Lloyd George, d’un Wilson, leur impuissance quand elles ont voulu aller contre certaines