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davantage pour les fautes de son pays, et il n’était pas de Grec, dit Thucydide, qui le méritât moins, à cause de ses vertus. Voilà la seule réflexion personnelle qu’il se permette. Nicias n’est pas chez lui ce qu’est Crésus chez Hérodote, le symbole de la destinée humaine vue du temple d’Apollon, et l’illustration de la vieille parole, que nul ne peut être dit heureux avant sa mort. Il est pris dans une logique et une destinée toutes politiques. Il est l’homme qui expie les erreurs de son pays après avoir tout fait pour les prévenir. Aussi, dans le déchaînement des Athéniens contre tous ceux qu’ils croient responsables de l’expédition, le souvenir de Nicias paraît avoir été épargné. Dans le discours que lui prête Thucydide avant le vote de l’expédition, il fait appel à la sagesse de ses compagnons d’âge contre les bouillants projets qui exaltent la jeunesse autour de son chef Alcibiade. Après le désastre, les Athéniens décident qu’un conseil de vieillards donnera désormais son avis sur toutes les mesures (VIII, 1). On reconnaît trop tard en Nicias la voix vivante qui s’affaiblit sans cesse, celle des ancêtres, d’une tradition, de l’ancienne Athènes bientôt abattue et dont, au moment de l’examen de conscience, on s’efforce de retenir tout ce que l’on peut.

Mais l’homme qui, par le relief original, vigoureux, audacieux de sa personnalité, occupe dans l’Athènes de la guerre la place la plus exposée, celui qui en symbolise avec le plus de force le visage nouveau et la fortune imprévue, c’est Alcibiade. Pas plus de lui que des autres, Thucydide ne fait de portrait : la suite des faits où il est