Cette lecture éternelle est sans doute la plus actuelle qui puisse nous retenir aujourd’hui. Le passage de Thucydide sur la transformation des idées morales au cours de la guerre péloponésienne s’applique à la vie que nous avons vécue dans la grande guerre et que nous vivons dans la paix précaire qui la suit. Il s’applique pareillement à toutes les époques de guerre générale, au xvie siècle et au temps de la Révolution. C’est un diagnostic de médecin, et, en cas pareil, la nature humaine fera toujours les mêmes maladies. Nul n’y échappe. Celui qui écrit ces lignes les reconnaît en lui aussi bien qu’en ses contemporains. Thucydide ne dit point de cette épidémie morale ce qu’il dit de l’épidémie de peste, qu’il peut en parler comme un homme qui en fut lui-même atteint, mais il serait étrangement contraire à toute vraisemblance qu’il en fût resté indemne. Il n’a pas toujours regardé les événements et les hommes de son œil purement lumineux d’historien, et de l’ombre de son platane, à Skapté-Hylé. Il ne serait d’ailleurs pas raisonnable de tirer de Thucydide une leçon de pur pessimisme et de ne voir dans la nature humaine que l’éternelle pâture de telles maladies. Leur connaissance n’est pas stérile et leur description nous permet de nous prémunir contre elles. Nous pouvons le faire de deux manières qui ne se contredisent pas ; l’une individuelle : nous donner par l’exercice de la pensée une âme robuste sur laquelle ces maladies ne mordent pas facilement ; l’autre sociale : plus difficile, créer une hygiène générale qui les empêche de se répandre ou qui limite leurs ravages. Si le livre de Thucydide n’eût pu absolument servir ni à l’un ni à