c’est une idée de l’ἀνθρώπινον, l’identification de la pérennité historique et des retours inévitables avec la pérennité humaine et les plis du cœur humain. Hérodote fait tout venir des dieux, tout retourner à eux. L’homme qui s’est élevé trop haut est abattu par leur jalousie. Un Athénien, qui a vu pratiquer l’ostracisme, qui écrit lui-même de l’exil, a reconnu cette jalousie dans le cœur des hommes assez clairement pour ne pas aller, quand il s’agit de Miltiade, de Thémistocle, de Cimon, de Périclès, d’Alcibiade, l’hypostasier chez les dieux.
Thucydide est par là à la fois un contemporain de Démocrite et un contemporain de Socrate, et il formerait presque, si on voulait, le trait d’union entre ces deux natures si violemment divergentes. Non qu’il ait vraisemblablement connu ou estimé l’un ou l’autre : on ne se l’imagine guère s’intéressant à la spéculation philosophique de Démocrite, sinon peut-être aux livres moraux de sa vie de voyages ; et la nature de Socrate (dont il dut se souvenir, si jamais il le connut, à peu près comme le Procurateur de Judée, dans le conte d’Anatole France, se souvient de Jésus) ne pouvait que rester absolument fermée à cet homme précis et posé, dont l’intelligence était toute construite de prévoyance et d’action mesurée. Mais si Thucydide voit le jeu de la nature humaine avec le détachement lucide, la curiosité sèche et lente dont Démocrite considère le jeu des atomes, il n’en est pas moins vrai que, pareil à Socrate, cet Athénien discerne, comme réalité dernière et support de tout, l’homme réel et vivant. Athènes, métropole de la culture classique, par Thucydide comme par Socrate et par les auteurs des frontons du Parthénon, apparaît comme le laboratoire de l’homme.