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qui vous ont brimé, quand vous les élevez à l’existence littéraire, le bienfait même que vous tenez d’eux !

Le roman de Flaubert est contenu entre la casquette de Charles Bovary et le mot profond, le seul qu’il prononça dans sa vie et après lequel il n’a plus qu’à tomber à terre comme la pomme mûre : « C’est la faute de la fatalité ! » Il a ce commencement et cette fin. Flaubert, dans une page de Par les champs, avait déjà compris que le chapitre des chapeaux restait à écrire en littérature, et le morceau sur le chapeau breton préludait à la page de la casquette. Avec ses « profondeurs d’expression muette comme le visage d’un imbécile », la casquette contient déjà tout Yonville-l’Abbaye. Une pauvre vie, une vie tout de même ; le roman d’une pauvre vie, mais d’une vie ! s’apprête à coiffer ce front d’enfant qui ne s’appelle pas Charles, mais Légion, et qui a été placé, par un autre jeu ironique de la destinée, sous l’œil du camarade dont les vers latins égayent le pédagogue et la classe. Casquette, dans certain domaine de l’art, parente du panache blanc de Henri IV et de celui de Cyrano, de la petite plume et du point blanc dans Un coup de dés.

Il y a là un lyrisme ou plutôt un contre-lyrisme proprement flaubertien, qui demande une initiation, et devant lequel plus d’un lecteur fronce le sourcil. À la fois le comble du gratuit et le comble de l’essentiel (ce qui pourrait être une définition de certain lyrisme pur et du symbolisme spontané). Flaubert a posé trois fois sur son roman cette touche de grand poète, pareille au coq de la Ronde de nuit ; avec la casquette, la pièce montée de la noce et le jouet des enfants Homais. Nous ne connaissons jusqu’à présent ce dernier que par ces lignes de Du Camp : « Flaubert avait imaginé de faire la description d’un jouet d’enfant qu’il avait vu, dont l’étrangeté l’avait frappé et qui, dans son roman, servait à amuser les fils de l’apothicaire Homais. Il n’avait pas fallu moins d’une dizaine de pages pour faire comprendre cette machine compliquée, qui figurait, je crois, la cour du roi de Siam. Entre Flaubert et Bouilhet la bataille dura huit jours, mais la victoire finit par rester au bon sens et le joujou disparut du livre, d’un jouet il n’était qu’un hors-d’œuvre qui ralentissait l’action. » C’était se demander ce que dans le Satyre

Jadis lonstemps avant que la lyre thébaine…