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5. « Madame Bovary »


Je laisse de côté la question des origines réelles de Madame Bovary. Il est certain qu’il y eut une vraie Mme Bovary, Mme Delamarre, née Couturier, décédée le 7 mars 1848, à Ry, et que d’autres ont posé pour certaines attitudes des personnages. Mais la chronique locale s’est emparée de tout cela, a donné des précisions fantaisistes, formé une légende, et dans le village de Ry les marchands de cartes postales vendent aux touristes tout le décor de Madame Bovary, comme ils pourraient vendre à Tarascon la maison du baobab. Flaubert a exagéré quand il a dit que Madame Bovary était une invention et qu’Yonville-l’Abbaye n’existait pas. D’autre part, on a exagéré dans le sens contraire. Ce qui est sûr et ce qui importe ici, c’est, comme il l’écrit en 1853, que « ma pauvre Bovary sans doute souffre et pleure dans vingt villages de France à la fois, à cette heure même[1] ». Et, ce bout de la chaîne posé, posons l’autre bout. Descharmes écrit : « Une personne qui a connu très intimement Mlle Amélie Bosquet, la correspondante de Flaubert, me racontait dernièrement que, Mlle Bosquet ayant demandé au romancier d’où il avait tiré le personnage de Madame Bovary, il aurait répondu très nettement et plusieurs fois répété : « Mme Bovary, c’est moi ! — D’après moi[2]. »

Il faut se défier en général des on-dit, mais je suis bien certain que celui-ci n’est pas de l’invention d’une vieille demoiselle. En 1850, à Constantinople, Flaubert apprit la mort de Balzac, et dans une lettre à Bouilhet il exprime son émo-

  1. Correspondance, t. III, p. 291.
  2. DESCHARMES, loc. cit., p. 103.