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de ne l’y trouver qu’avec Bouilhet, Cormenin et Du Camp.

Cependant lui et Bouilhet, bons nègres, passent leurs dimanches à corriger vers et prose de l’orageuse maîtresse. Les amants rompirent définitivement en 1855 après des scènes violentes, à Croisset même, où Louise était venue supplier Flaubert et d’où il l’avait presque chassée. L’année suivante, elle-même raconta dans Une histoire de soldat sa dernière visite à Croisset. Flaubert, sous le nom de Léonce, y est peint sans indulgence. Et il mit en effet dans cette séparation une dureté brutale. Sa mère, qui pourtant n’avait jamais voulu voir Louise, en fut indignée, et, racontait-il lui-même aux Goncourt, avait « toujours gardé au fond d’elle, comme une blessure faite à son sexe, le ressouvenir de sa dureté pour sa maîtresse ». Ils ne se pardonnèrent pas.

La dernière lettre que lui avait adressée Flaubert, au début de 1855, était, dit M. Descharmes, « un court billet, dix lignes au plus, où il déclare à sa maîtresse qu’il est inutile à l’avenir de se présenter chez lui ; qu’il n’y sera jamais pour elle. Cette lettre est inédite ; la personne qui me l’a montrée m’a prié de n’en point reproduire les termes[1] ». Elle n’a pas été jusqu’ici publiée. Une histoire de soldat fut la réponse. La pauvre Louise mena dès lors une vie ingrate de femme de lettres vieillie qui doit beaucoup travailler pour mal vivre. En 1871, Flaubert se gausse d’apprendre qu’elle est restée cachée trois jours, après la Commune, dans la cave de Sainte-Beuve. En 1872, à l’occasion de la préface de Flaubert aux Dernières Chansons de Bouilhet, elle éclate, dit-il, en « une fureur pindarique. J’ai reçu d’elle une lettre anonyme en vers, où elle me représente comme un charlatan qui bat de la grosse caisse sur la tombe de son ami, un pied plat qui fait des turpitudes devant la critique, après avoir adulé César[2] ». L’apercevant un jour à la sortie du Collège de France elle dit à sa fille : « Comme il est laid ! » Elle-même n’était plus belle, mais elle vivait de littérature publicitaire pour les produits de beauté, comme on ne disait pas encore en ce temps-là. Ce fut la fin pitoyable d’un amour qui avait eu sa noblesse et qui n’avait peut-être pas été aussi indigne de Flaubert qu’on le dit.

  1. DESCHARMES, Flaubert avant 1857, p. 404.
  2. Correspondance, t. VI, p. 353.