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tuel Villemain, Victor Hugo (un dessin de femme nue, vue de dos, par Victor Hugo, qui appartenait à Louis Barthou et qui est reproduit par M. Raymond Escholier dans Victor Hugo artiste, serait, imaginait allégrement Barthou, un portrait de Louise Colet : il n’ajoutait pas : de Louise en tenue de campagne pour le prix de poésie de l’Académie française, et plus candidate que candide, mais cela va de soi), Alfred de Musset, et M. le comte Alfred de Vigny.

Un autre admirateur, le pharmacien Quesneville, avait, en 1842, publié les œuvres complètes de la Muse en une magnifique édition in-folio, tirée à vingt-cinq exemplaires, et offerte seulement aux grands poètes et aux souverains. Le roi Louis-Philippe, dont la vertu doit rester cependant insoupçonnée, avait répondu par l’envoi d’une médaille d’or et avait doublé la pension qu’il faisait à Louise sur sa cassette. Elle était très bien accueillie chez Mme Récamier ; elle-même tenait rue de Sèvres un salon brillant, de société un peu mêlée, où fréquentait une bonne partie du monde académique. C’était une blonde superbe, au teint rose, aux yeux éclatants et frais. Du Camp, qui la détestait et à qui elle le rendait (il fut la cause de sa première rupture avec Flaubert), écrit : « Elle était jolie, du reste, assez forte, et avec un singulier contraste entre ses traits, qui étaient fins, et sa démarche, qui était hommasse. Les extrémités lourdes, la voix éraillée, décelaient un fond de vulgarité[1]. » Flaubert trouvait au contraire dans sa voix une de ses meilleures séductions. La plupart des anecdotes racontées sur elle par Du Camp paraissent d’ailleurs suspectes.

Flaubert ne pouvait l’avoir rencontrée chez Pradier qu’en 1846. Deux mois après, elle devint sa maîtresse. Elle paraît l’avoir aimé avec emportement. AÀvingt-cinq ans, il était très beau, et le portrait qu’elle en fait dans son roman, Lui, nous dit assez combien elle admira ce magnifique géant normand. De son côté, il lui écrivait : « N’as-tu pas tout ce qu’il faut pour que je t’aime ? corps, esprit, tendresse ? Tu es simple d’âme et forte de tête, très peu « pohétique » et extrêmement poète ; il n’y a rien en toi que de bon et en tout espoir comme ta poitrine, blanche et douce au toucher[2]. »

  1. Souvenirs littéraires, t. II, p. 362.
  2. Corespondance, t. III, p.203.