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à sa sœur Caroline « une des plus exquises beautés que j’aie aperçues », écrira Maxime Du Camp, mais des plus fragiles de santé aussi ! Flaubert apprend ce mariage avec des craintes pour l’avenir, – justifiées. « Elle est mariée avec la vulgarité incarnée », écrira-t-il plus tard (9 juin 1852).

Goinfre et d’esprit obtus, Hamard sera un piètre gendre pour le docteur. Gustave devient un autre tourment, ne pourra plus exercer de profession utile. Le père Flaubert ne se voit qu’un digne héritier. C’est son aîné Achille, qui vient d’être nommé chirurgien adjoint à l’Hôtel-Dieu et que tout désigne comme son successeur.

En attendant, Achille Flaubert va remplacer provisoirement son père à l’Hôtel-Dieu, puisque après le mariage de Caroline, en 1845, le père, la mère, les deux époux et Gustave partent pour un voyage moins de noces que de famille en Italie. Nous avons (en outre des Notes de voyage) par les lettres à Le Poittevin le journal de ce voyage. À Marseille, en 1840, descendu à l’hôtel Richelieu, Flaubert y avait eu sa première maîtresse, Eulalie Foucault. Cette fois l’hôtel est fermé, on lui donne sur Eulalie des renseignements si incomplets qu’il en reste là. À Gênes il voit un tableau de Breughel représentant la Tentation de saint Antoine « qui m’a fait penser à arranger pour le théâtre la Tentation de saint Antoine mais elle demanderait un autre gaillard que moi[1] ».

Sa maladie a obligé Flaubert à quitter, pour toujours, croit-il, la vie de Paris, et son voyage lui a donné l’horreur du mouvement, le goût de rester chez lui, pour y travailler seul. Nous avons ici une première épreuve de ce que sera plus tard le renoncement définitif au voyage, le retour d’Orient et la claustration avec la Bovary. Alors commence pour lui cet état de grâce devant l’œuvre d’art, analogue à celui des mystiques, et dont une lettre à Le Poittevin, de septembre 1845, nous aide déjà à reconnaître et à grouper les éléments. « Pour moi, je ne sens plus ni les emportements chaleureux de la jeunesse ni les grandes amertumes d’autrefois. Ils se sont mêlés ensemble, et cela fait une teinte universelle où tout se trouve broyé et confondu… Malade, irrité, en proie mille fois par jour à des moments d’une angoisse atroce, sans femme, sans vie, sans

  1. Correspondance, t. I, p.173.