Page:Thibaudet - Gustave Flaubert.djvu/28

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tard dans la Tentation, lui fait un cours de philosophie, puis, probablement au bout de sa science, passe la parole à un confrère qui expliquera à Smarh le sens de la vie et le monde : c’est Yuk, le dieu du grotesque, sorte de diable boiteux du temps et de l’espace, qui soulève, pour en montrer l’intérieur ridicule et odieux, les toits des palais et des maisons. Les palais nous laissent apercevoir des rois, brutes érotiques vautrées dans la débauche et sur des monceaux d’or. Il est réjouissant de voir les potaches de Rouen s’exciter ainsi sur les tyrans, au temps de qui ? du roi Louis-Philippe. Puis Yuk lève le toit d’un ménage bourgeois, et ne parvient toujours qu’à nous rappeler de très loin Méphistophélès. Un an après, Flaubert écrivait sur son manuscrit : « Il est permis de faire des choses pitoyables, mais pas de cette trempe. » Le seul intérêt de l’ouvrage consiste à nous montrer comment les lectures de Flaubert, Rousseau, Faust, Ahasvérus, s’imprimaient en lui, ces années, y creusaient le lit des œuvres futures.


Le frère aîné de Flaubert ayant fait sa médecine, s’étant sitôt après établi et marié, il était entendu depuis longtemps que Gustave ferait son droit à Paris, comme l’avaient fait Chevalier et Le Poittevin. Sans aucun enthousiasme pour la vie d’étudiant en droit, ni à plus forte raison pour celle de juge et d’avocat, il se résigna. Mais d’abord, un voyage paraissant le couronnement et la récompense d’un succès au baccalauréat, il s’en alla, avec un ami de sa famille, faire un tour aux Pyrénées et en Corse.

Nous avons le journal de cette première sortie. Il manque d’enthousiasme. « Je suis dans le plus grand embarras si je veux faire mon voyage aux Pyrénées », écrivait-il le 9 juin à Chevalier. « La raison et mon intérêt m’y engagent, mais mon instinct, à qui j’ai continué d’obéir, à l’instar des brutes, puisque j’ai une âme immortelle, une liberté morale et présentement un paletot et un bonnet de coton, l’instinct donc me dit que le voyage sans doute me plaît, mais le compagnon guère. » Ce compagnon était le docteur Cloquet, qui avait déjà emmené Achille en Écosse, et sortait confraternellement les enfants d’un médecin plus casanier. On voyageait avec la sœur du docteur