avec les timbres de la voix et le rythme de la respiration. C’est que, comme nous l’avons vu, le fond de ce style est oratoire, se définit comme de l’oratoire qui, à partir de Madame Bovary, se dépouille, est mis au point, se résout en dissonances pour se reformer en consonances. Et c’est là, je crois, la raison qui maintiendra si longtemps à ce sujet les discussions actuelles. Les attaques dirigées contre la langue de Flaubert proviennent surtout de puristes habitués à décrier le courant populaire de la langue. De même le style de Flaubert déplaît à tout un côté du goût français au XIXe siècle ; à cette église considérable née des idéologues, Stendhal, Mérimée, Sainte-Beuve. Les Goncourt trouvent un jour celui-ci dans sa chambre, exaspéré contre Salammbô qui vient de paraître et « furibond, écumant à petites phrases… Au fond, c’est du dernier classique… La bataille, la peste, la famine, ce sont des morceaux à mettre dans des cours de littérature. Du Marmontel, du Florian, quoi[1] ! » Ainsi Stendhal prétend qu’il aurait failli se battre en Italie contre un officier qui admirait Atala. Les Goncourt, eux aussi, n’ont jamais pu tolérer cette syntaxe de Flaubert, « syntaxe d’oraison funèbre », « phrases de gueuloir », « d’oraison funèbre », « pour de vieux universitaires flegmatiques ». C’est qu’il nous faut prendre garde ici à un fait capital. Tandis qu’au XIXe siècle la poésie lyrique française, avec Lamartine, Hugo, Musset, puise son élan dans le génie oratoire, se manifeste comme l’état, propre à ce siècle, de la réalité littéraire qui avait donné au XVIIe siècle l’éloquence de la chaire, au contraire la prose contemporaine de cette poésie lyrique n’est pas une prose oratoire. Victor Hugo, qui a le génie de la prose française presque autant que celui de la poésie française, est aussi peu oratoire dans sa prose qu’il l’est dans sa poésie.
Prends garde à Marchangy ! la prose poétique…
- ↑ Journal, t. II, p. 70.