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Le rejet n’est pas limité à l’adjectif et à l’adverbe. Flaubert en tire devant le substantif et le verbe de bons effets comiques : « Ornement de nos basses-cours, qui fournit à la fois un élément moelleux pour nos couches, sa chair succulente pour nos tables, et des œufs[1]. » « J’ai appris d’un colporteur qui, en voyageant cet hiver par notre pays, s’est fait arracher une dent, que Bovary travaillait toujours dur. Ça ne m’étonne pas, et il m’a montré sa dent. » Une valeur rythmique de rejet coïncide ici avec une valeur syntaxique de liaison, la liaison inattendue qui est la ressource ordinaire du comique.


Il était nécessaire d’entrer dans ce détail pour prouver que le respect avec lequel on parle du « style de Flaubert » ne vient pas d’une erreur ou d’une illusion. Flaubert a été, en matière de style, un des plus grands créateurs de formes qu’il y ait dans les lettres françaises. Aucun prosateur, si ce n’est, sur des registres très différents, Rabelais et La Bruyère, n’a mieux connu la nature de notre prose, n’en a exploité plus délibérément et plus subtilement les ressources. On ne saurait imaginer une gloire littéraire mieux fondée. Et pourtant le style de Flaubert a pour ennemis, aujourd’hui autant que jamais, des personnes d’un goût généralement fin et sûr. Il y a une question Flaubert, qui a été soulevée fréquemment. Le premier catalogue des fautes de Flaubert avait été dressé quelques jours après la publication de Madame Bovary, sous la signature d’un nommé Deschamps, dans un bulletin bibliographique de la Revue des Deux Mondes (d’une pagination différente et non relié d’ordinaire avec la revue. Ce feuillet, doyen de la littérature flaubertophobe, est une rareté bibliographique). Naguère, ce qu’on pouvait appeler la jeune critique académique, celle du néoclassicisme, traitait volontiers Flaubert comme un ennemi. Après tant de discussions, nous devons être en possession des éléments nécessaires pour liquider à peu près cette question.

La grosse pierre de scandale, c’est d’abord le poids matériel des fautes contre la langue. Le catalogue de ces fautes

  1. Madame Bovary. p. 201.