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toutes ses ressources, et celle de l’imparfait de style indirect libre, avec le précédent de La Fontaine, s’imposait à lui. Ainsi, La Bruyère, qui est l’homme du présent, comme Flaubert est celui de l’imparfait, est conduit pareillement au présent ou au futur de style indirect libre. « Il entend déjà sonner le beffroi des villes, et crier à l’alarme ; il songe à son bien et à ses terres. Où conduira-t-il son argent, ses meubles, sa famille ? En Suisse ou à Venise ? »

En second lieu, nous sommes ici devant une loi du style souvent méconnue et qu’on pourrait formuler ainsi : Le style écrit n’est pas le style parlé, mais un style écrit ne se renouvelle, n’acquiert vie et perpétuité, que par un contact à la fois étroit et original avec la parole. Brunetière insiste fréquemment et avec raison sur ce fait que le style du XVIIe siècle est avant tout un style parlé. Aujourd’hui encore, avoir un style, c’est avoir fait une coupe originale dans ce complexe qu’est le langage parlé. Un pur style parlé sera celui d’un orateur comme Briand dont il ne reste à peu près rien dans le texte de l’Officiel. Un pur style écrit sera celui de Mallarmé dans sa prose. Or, le plaisir qu’on éprouvait à écouter Briand et celui qu’on goûte à lire Divagations sont en deçà ou au-delà de la littérature. Il y a littérature là où les deux sexes sont présents, où se fait le mariage de la parole et de l’écrit. Et c’est le cas de Flaubert. Son style ne paraîtrait pas vivant s’il n’était animé par un courant de parole qui commence, nous le verrons tout à l’heure, au langage populaire et se termine par le « gueuloir ». Or, le style indirect libre, que les grammairiens n’ont pas daigné jusqu’à ces derniers temps incorporer à la langue, telle qu’ils l’amènent à la conscience claire, a certainement son origine dans la langue parlée. Avant de devenir une forme grammaticale, il est une intonation. Si un soldat demande une permission pour la première communion de sa sœur, les mêmes mots, variés seulement par l’intonation, exprimeront dans la bouche du sergent-major, soit le style direct, soit le style indirect libre. « Sa sœur fait sa première communion. » En cas de style indirect libre, la seule intonation signifiera ce préambule : « Ce carotteur prétend qu’il a droit à une permission parce que… » Ainsi le : J’ai fait mon testament ! de Géronte. Dans la langue parlée, imitée en cela par la langue dramatique :