Page:Thibaudet - Gustave Flaubert.djvu/248

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il prenaLe moine disait son bréviaire.
Il prenait bien son temps ! Une femme chantait.
C’était bien des chansons d’alors qu’agissait !

Et je crus que la forme était courante dans la grammaire de nos classiques. Or, il n’en est rien. Tous nos auteurs de grammaires sans exception l’ont ignorée. Comme d’autre part elle est habituelle en allemand, existe aussi en anglais, les philologues étrangers en ont conclu qu’elle répugnait au génie de la langue française, qui marquerait toujours le style indirect par une conjonction. Le philologue de Genève, M. Bally, ayant relevé cette affirmation dans le livre de Strohmeyer, Der Stil der französischen Sprache, l’a discutée dans un article de la Germanisch-Romanische Monatsschrift sur « le Style indirect libre en français moderne ». La question n’avait jamais été soulevée auparavant, et Proust, qui évidemment ne connaissait pas la Monatsschrift d’Heidelberg, a montré le flair d’écrivain le plus heureux en repérant chez Flaubert l’originalité de cette tournure. La Fontaine est-il le seul qui l’ait employée (à l’imparfait) au XVIIe siècle ? Je le crois, mais la question reste ouverte. En tout cas, il est le seul qui l’ait employée abondamment (il doit y en avoir de quinze à vingt exemples dans les Fables, le Lexique de la Collection des Grands écrivains n’en dit rien). Les Confessions de Rousseau, dont l’importance comme source de style est capitale et mériterait d’être longuement étudiée, en comportent plusieurs cas. « C’est l’homme aux gobelets. Il se plaint modestement de notre conduite. Que nous avait-il fait pour nous engager à vouloir décréditer ses jeux et lui ôter son gagne-pain ? Qu’y a-t-il de si merveilleux dans l’art d’attirer un canard de cire, pour acheter cet honneur aux dépens de la subsistance d’un honnête homme ? « Ma foi, messieurs, si j’avais quelque autre talent pour vivre, je ne me glorifierais pas de celui-ci. » M. Bally en cite aussi un emploi dans Colomba. Mais, après La Fontaine, c’est seulement chez Flaubert qu’on retrouve cette tournure à titre d’usage habituel et de ressource permanente. Et c’est à sa suite qu’elle entre dans le courant commun du style romanesque, abonde chez Daudet, Zola, Maupassant, tout le monde.

Flaubert semble y avoir été conduit par deux voies. D’abord, il est grammaticalement l’homme de l’imparfait. Naturellement, il devait demander à l’imparfait de déployer pour lui