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Au contraire des romanciers de son groupe, Flaubert n’a pas trop cherché l’épithète rare et n’a pas abusé des adjectifs. À deux reprises, dans la Tentation, Antoine perçoit un « silence énorme »[1]. L’épithète, qui fut discutée, reste très expressive. Dans Madame Bovary, Flaubert emploie sans peur et sans reproche les vieilles alliances de mots, parle de la « hardiesse candide » des yeux d’Emma, de la « pesanteur sereine » de Charles. Il a quelque peu assoupli et étendu le sens qualificatif de nombreux ; il parle du zaïmph « nombreux, étincelant, léger » ; dit en parlant de Paris : « La vie nombreuse qui s’agitait dans ce tumulte. »


Les pronoms relatifs ont été le cauchemar de Flaubert, et il pourchasse leur répétition comme une servante hollandaise les araignées. « Je répète encore une fois que jusqu’à nous, jusqu’aux très modernes, on n’avait pas l’idée de l’harmonie soutenue du style, les qui, les que enchevêtrés les uns dans les autres reviennent incessamment dans ces grands écrivains[2]. »

Il prouve là, semble-t-il, quelque étroitesse, et aussi quelque ignorance. Comme le montre fort bien Brunetière, les écrivains classiques se servent des pronoms pour charpenter la phrase, en marquer les articulations, et comme d’une véritable ponctuation. Une douzaine de qui et de que laissent (ou donnent) à une phrase des Provinciales une merveilleuse aisance.

Seulement nous n’écrivons plus la phrase du XVIIe siècle ; notre oreille, le rythme et la respiration de notre style sont formés par la phrase analytique du XVIIIe que même ceux qui la dépassent, comme Rousseau, Chateaubriand, Flaubert, prennent pour point de départ. Entasser les pronoms relatifs est aujourd’hui une façon de mal écrire et les générations d’étudiants se transmettent, de M. Patin, la phrase du chapeau. Je suis de ceux qui goûtent à un haut degré le style de Brune-

  1. Madame Bovary, p. 15 et 166.
  2. Correspondance, t. III, p. 231.