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un navire ». Et à la fin du roman, voici Mme  Homais qui, éblouie par la spirale d’or dont s’entourait le pharmacien, « sentait redoubler ses ardeurs pour cet homme plus garrotté qu’un Scythe et splendide comme un mage ». Dans Salammbô, « Mathô soupirait d’une façon caressante et murmurait de vagues paroles, plus légères qu’une brise et suaves comme un baiser[1] ». Et ce n’est pas fini. Quelle que soit la perfection de la phrase de Flaubert, quelle que soit la différence de rythme entre les phrases de ses quatre grandes œuvres, les retours des mêmes nombres, la permanence de la même tension, le ronflement du même moteur n’en donnent pas moins à l’oreille une certaine impression de monotonie. Il sentait le danger, l’a évité, de plus en plus, après Madame Bovary, et dans Bouvard il semble avoir définitivement pris le dessus.


Le fond du style de Flaubert, c’est donc aussi le fond de l’homme : un fond oratoire. Par-là encore, il se rattache aux grands romantiques, Chateaubriand, Lamartine, Hugo, Musset, qui possédaient le génie oratoire à un si haut degré que Brunetière fait de leur lyrisme, à travers Rousseau, le descendant de l’éloquence de la chaire. Ce génie oratoire de Flaubert, nous le trouvons à l’état brut dans la Correspondance. Ses lettres sont d’un mouvement entraînant et pittoresque, d’un flux étonnamment vigoureux toutes les fois qu’elles sont chauffées par la passion qui lui est propre, le dégoût de l’humanité, et qu’elles peuvent s’acharner sur une sottise bourgeoise. Elles sont également éloquentes – voyez les lettres à Louise Colet – quand Flaubert se laisse aller à l’enivrement de l’art, de la vie idéale consacrée au style et à la beauté.

C’est ce flot oratoire, mais épuré et filtré, qui jaillit dans la Tentation – surtout dans la première Tentation, – dans Madame Bovary et dans Salammbô. Le récit de Salammbô, avec ses apparences fréquentes de narration historique nous rappelle souvent le ton oratoire de la vraie histoire éloquente, celle de l’Histoire des variations, celle de Taine, mais ce ton n’apparaît que par places, il est bien vite rompu par une dis-

  1. Salammbô, p. 265.