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Quand Flaubert passe au rythme quaternaire, une solidarité de deux membres le ramène par un certain côté au rythme ternaire avec un membre divisé. « Le froid de la nuit les faisait s’étreindre davantage ; les soupirs de leurs lèvres leur semblaient plus forts ; leurs yeux qu’ils entrevoyaient à peine leur paraissaient plus grands ; et, au milieu du silence, il y avait des paroles dites tout bas qui tombaient sur leur âme avec une sonorité cristalline et qui s’y répercutaient en vibrations multipliées[1]. » Ici encore le rythme est élargi. Les deux et du dernier membre sont annoncés par le redoublement du membre central, qu’ils semblent équilibrer.

De même, dans cette phrase en apparence quaternaire, les trois derniers membres sont en réalité une phrase ternaire qui développe en trois images particulières l’image générale du premier membre : « L’église, comme un boudoir gigantesque, se disposait autour d’elle ; les voûtes s’inclinaient pour recueillir dans l’ombre la confession de son amour ; les vitraux resplendissaient pour illuminer son visage, et les encensoirs allaient briller pour qu’elle apparût comme un ange, dans la fumée des parfums[2]. »

Lorsque le dernier membre de la phrase ternaire est le plus long des trois, il est presque toujours réuni au second par un et de mouvement. Mais, lorsque la progression d’une suite ternaire est décroissante, on a trois phrases juxtaposées sans conjonction. « Et, au loin, des voix murmurent, grondent, rugissent, brament et beuglent. L’épaisseur de la nuit est augmentée par des haleines. Les gouttes d’une pluie chaude tombent[3]. » « En tournant sa masse d’armes, il se débarrassa de quatorze cavaliers. Il défit, en champ clos, tous ceux qui se proposèrent. Plus de vingt fois on le crut mort[4]. »

Cette phrase à trois membres, dont les articulations, si visibles, obéissent à des lois si claires, on pourrait l’appeler la phrase-discours. Elle tient au génie oratoire de Flaubert, attentif à arrêter l’éloquence en une image qui en conserve tout le mouvement et le transforme instantanément en lumière. Mais ce n’est là qu’une des espèces de la phrase-image telle

  1. Madame Bovary, p. 234.
  2. Madame Bovary, p. 331.
  3. Tentation, p. 135.
  4. Trois contes, p. 98.