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Une contrainte se fait d’abord sentir dans ce qui paraît le pain même du style : les images. Flaubert appartient incontestablement à la race des grands créateurs d’images, et les siennes sont presque toujours visuelles. Dans sa correspondance, où elles viennent spontanément sous sa plume, on les compte par centaines, et elles sont originales et belles. Parmi ses romans, le seul qui fournisse une moisson d’images est Madame Bovary. Plus tard, Flaubert s’en abstient à peu près, et, déjà, dans Madame Bovary, il ne les accepte qu’avec une mauvaise conscience. « Je crois que ma Bovary va aller, mais je suis gêné par le sens métaphorique, qui décidément me domine trop ; je suis dévoré de comparaisons comme on l’est de poux, et je ne passe mon temps qu’à les écraser, mes phrases en grouillent. »

C’est que Madame Bovary est l’œuvre la plus épique de Flaubert (épique comme Hermann et Dorothée, comme Mireille) et il n’y a pas d’épopées sans images ou plutôt sans comparaisons. Elles sont bien moins nombreuses dans Salammbô, et n’apparaissent que lorsque le ton épique succède au ton historique. (Je laisse de côté la Tentation, répandue sur vingt-cinq années de la vie de Flaubert). Il n’y en a presque pas dans l’Éducation, et pas du tout dans Bouvard. Ici encore ce style reproduit l’évolution générique du roman, en allant de la figure épique à celle du roman proprement dit.

Les images de Madame Bovary sont le plus souvent non des images spontanées, mais des comparaisons artificielles et balancées comme celles de l’épopée. Tel… tel… « Elle observait le bonheur de son fils, avec un silence triste, comme quelqu’un de ruiné qui regarde, à travers les carreaux, des gens attablés dans son ancienne maison. » « La femme du pharmacien lui paraissait bien heureuse de dormir sous le même toit ; et ses pensées continuellement s’abattaient sur cette maison, comme les pigeons du Lion d’Or qui venaient tremper là, dans les gouttières, leurs pattes roses et leurs ailes blanches. »

La comparaison habituelle à Flaubert consiste à essayer de préciser et de faire saisir un sentiment un peu délicat et compliqué en lui donnant une expression et une correspondance physiques. L’effet est généralement médiocre, et il semble que