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famille, dans les femmes de sa maison, sexe toujours disposé à être secoué par les courants de fanatisme, – un visiteur, Aulus et Sévère, qui arrive investi de tout le prestige impérial, et devant qui le fanatique créera précisément une affaire très désagréable pour un fonctionnaire, – le tout se terminant par la nécessité où se trouve le préfet de sacrifier une tête qu’il ne tiendrait pas autrement à voir tomber.

Flaubert écrivit les Trois Contes comme intermède et délassement pendant l’élaboration de Bouvard et Pécuchet qui l’occupa les dix dernières années de sa vie. il méditait d’autres ouvrages. Non plus son grand roman sur l’Orient moderne, dont il caressait toujours le rêve, mais qu’il se savait trop vieux – et trop désargenté – pour étayer du nouveau voyage en Orient qui eût été nécessaire. Il pensait à un roman sur la vie politique du second Empire, faisant suite à l’Éducation sentimentale. Le projet était encore vague. Il le rêvait tantôt sous le titre de Monsieur le préfet, tantôt sous celui de Un ménage parisien : plusieurs notes, en partie dispersées dans la fâcheuse vente Franklin-Groult, figurent sous ces deux titres dans ses papiers. Beaucoup plus momentanée paraît cette idée dont nous ne trouvons de mention que dans le Journal des Goncourt : « Je veux prendre deux ou trois familles rouennaises avant la Révolution et les mener à ces temps-ci…, montrer la filiation d’un Pouyer-Quertier, descendant d’un ouvrier tisseur. Cela m’amusera de l’écrire en dialogues, avec des mises en scène très détaillées. Puis mon grand roman sur l’Empire[1]. »

Mais le projet auquel il songeait le plus était un Léonidas aux Thermopyles. « Avant tout, disait-il à Goncourt, j’ai besoin de me débarrasser d’une chose qui m’obsède… C’est ma bataille des Thermopyles. Je ferai un voyage en Grèce… Je veux écrire cela sans me servir de vocables techniques, sans employer par exemple le mot cnémides… Je vois dans ces guerriers une troupe de dévoués à la mort, y allant d’une manière gaie et ironique… ; le livre, il faut que ce soit pour les peuples une Marseillaise d’un ordre plus élevé. » Il veut dire l’hymne de marche, mais il pense aussi à la Marseillaise de Rude. Il est frappé par une idée plastique : celle des guerriers qui partent, non d’une

  1. Journal des Goncourt, t. IV, p. 86.