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un filon intéressant à exploiter. Il commença par retaper un vieil ours de Bouilhet, le Sexe faible, une pièce qui mérite largement son épithète, et qu’il ne parvint pas à faire représenter. Son seul contact avec les planches se fit par le Candidat, joué au Vaudeville en 1874, et qui dut être retiré après la troisième représentation. « Les bourgeois de Rouen, y compris mon frère, m’ont parlé de la chute du Candidat à voix basse et d’un air contrit, comme si j’avais passé en cour d’assises pour accusation de faux. Ne pas réussir est un crime ; et la réussite est le critérium du bien[1]. » Bien entendu Flaubert explique son échec par de tout autres raisons que l’insuffisance de son œuvre. La cabale ! comme dit Figaro. Le Candidat ayant été écrit en 1873, à une époque d’âpres luttes politiques, pour « rouler tous les partis dans la (cf. Cambronne) », Flaubert se croit victime de la haine de tous ces partis fondus en une union sacrée contre la cause de l’art. La vérité est que le Candidat ne vaut rien, pas plus que n’importe quelle page du Sexe faible et du lugubre Château des cœurs. Comme les Goncourt, Daudet et Zola, Flaubert a abondamment maudit les juges d’un procès que la postérité n’a pas revisé : l’échec des romanciers réalistes et naturalistes au théâtre est un fait général sur lequel on pourrait échafauder bien des réflexions. Le Candidat, comédie de mœurs politiques, se rattache à une période de la vie de Flaubert où, comme tout le monde, il se croit tenu d’avoir des idées et des passions politiques, et de donner, comme les médecins d’Emma Bovary, sa consultation à la France malade. Il les exprime principalement dans ses lettres à George Sand. Tout lui paraît lié à la formation d’une aristocratie intellectuelle, dont bien entendu il sera, comme il était lieutenant de la garde nationale de Croisset. « Dans une entreprise industrielle (société anonyme) chaque actionnaire vote en raison de son apport. Il en devrait être ainsi dans le gouvernement d’une nation. Je vaux bien vingt électeurs de Croisset. L’argent, l’esprit et la race même doivent être comptés ; bref, jusqu’à présent, je n’en vois qu’une, le nombre. » Le lion se déclare non seulement propriétaire (l’argent), mais mandarin (l’esprit) et bourgeois de Rouen (la race). À la bonne heure ! « Dans trois ans, tous les Français peuvent savoir lire. Croyez--

  1. Correspondance, t. VII, p. 140.