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entre Louis Bouilhet. Le Poittevin, Flaubert, Bouilhet, en attendant le neveu de Le Poittevin, Maupassant, nous voilà en présence d’une école de Rouen, ou tout au moins d’une équipe rouennaise, par laquelle Flaubert sera soutenu, encadré, continué.

La correspondance avec Chevalier nous fait bien connaître le Flaubert des dernières années de collège, de quinze à dix-huit ans. Bien entendu, comme tous les jeunes gens de l’époque, il est bouleversé par Musset. « Musset, écrira-t-il plus tard, m’a excessivement enthousiasmé autrefois, il flattait mes vices d’esprit : lyrisme, vagabondage, crâneries de l’idée, de la tournure[1]. » Il bouillonne de romantisme, d’exaspération contre son temps, contre les chaînes qu’il fait sonner à ses bras, l’esclavage familial et collégial où il est pris : cela robustement écrit, plein de mouvement et de truculence, avec cette grosse verve qui roulera toujours dans ses lettres. Peut-être projette-t-il un peu sur toute sa génération (qui allait fournir après tout les bourgeois pratiques du second Empire) la figure de son monde intérieur quand il écrit, l’année du coup d’État : « Nous étions, il y a quelques années, en province, un groupe de jeunes drôles qui vivions dans un étrange monde, je vous assure ; nous tournions entre la folie et le suicide ; il y en a qui se sont tués, d’autres qui sont morts dans leur lit, un qui s’est étranglé avec sa cravate, plusieurs qui se sont fait crever de débauche pour chasser l’ennui… Si jamais je sais écrire, je pourrai faire un livre sur cette jeunesse inconnue qui poussait à l’ombre dans la retraite comme des champignons gonflés d’ennui[2]. » Ce livre, pourtant, ne sera pas tout à fait cela quand il écrira la seconde Éducation.

La Confession d’un enfant du siècle est de 1836. Trois ans auparavant avait paru un livre qui agit beaucoup sur Flaubert, l’Ahasvérus de Quinet. Joignons-y l’enthousiasme pour Chateaubriand et Michelet, le goût passionné du moyen âge d’une part, de la Rome impériale, celle de Néron et d’Héliogabale, d’autre part. Les œuvres de jeunesse nous montrent toute cette mixture tournant dans le chaudron des trois sorcières dont l’une dit : « Tu feras la Tentation », une autre : « Tu écriras

  1. Correspondance, t. III. p. 31.
  2. Correspondance, t. II, p. 327.