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roman paraissait dans la Revue de Paris, Flaubert est venu s’installer à Paris, dans un appartement qu’il gardera comme pied-à-terre, 42, boulevard du Temple. Il y reste huit mois : c’est la période du procès. C’est la période aussi où des lectures dans les bibliothèques lui donnent l’idée d’un roman sur Carthage. Le 18 mars 1857, il écrit à Mlle Leroyer de Chantepie : « Je m’occupe, avant de m’en retourner à la campagne, d’un travail archéologique sur une des époques les plus inconnues de l’antiquité, travail qui est la préparation d’un autre. Je vais écrire un roman dont l’action se passera trois siècles avant Jésus-Christ, car j’éprouve le besoin de sortir du monde moderne où ma plume s’est trop trempée et qui d’ailleurs me fatigue autant à reproduire qu’il me dégoûte à voir. »

S’il y a, de Madame Bovary à Salammbô, mouvement de bascule et d’inversion, il y a aussi, du roman réaliste au roman d’histoire, certaine transition ordinaire et certaine communauté de genre. On sait quelle avait été l’influence de Walter Scott sur le roman du XIXe siècle, et particulièrement sur Balzac. Il était naturel que Notre-Dame de Paris et sa cour des Miracles préparassent la voie au succès des Mystères de Paris, où Victor Hugo, quand il écrivit les dernières parties des Misérables, n’a fait que reprendre son bien. C’est dans le roman historique que le réalisme, l’observation des milieux, font leurs écoles. Brunetière l’a très bien dit : « Ôtez en effet le milieu : plus de roman historique ; mais posez le milieu : vous créez le roman historique. » Et c’est sur les deux registres de son art que les milieux prennent chez Flaubert une place de plus en plus grande. Comme Madame Bovary, l’Éducation et Bouvard mettent en scène des personnages neutres mangés par leur milieu.

Cela n’empêche pas que Flaubert ne pense aux auteurs de romans historiques que pour s’éloigner d’eux et faire autre chose. Si le roman est naturellement historique, si dans presque tous les pays le roman d’observation contemporaine n’a pu être préparé que par des siècles de roman historique, c’est que le cadre même de celui-ci répond au besoin romanesque par excellence, celui de l’idéalisation. Flaubert s’imagine qu’il pourra réagir contre cette tendance d’un genre, produire quelque chose qui donne autant l’impression du réel que les Martyrs donnent celle d’idéal. Il est pris ici dans un rythme général, dans un système nouveau, ou un besoin de système nouveau,