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LA CONNAISSANCE

géométrique. Les attributs inconnus de la substance constituent une infinité d’autres traductions. Le parallélisme figure donc un monisme, et non un dualisme, et c’est bien comme un monisme qu’il a généralement été entendu, tantôt comme un monisme idéaliste et tantôt comme un monisme matérialiste. Mais ni l’un ni l’autre monisme ne peuvent faire coïncider le cerveau avec la représentation : ni l’idéalisme, puisque par lui le cerveau n’est qu’une image comme les autres et qu’il fait partie de la représentation, ni le réalisme matérialiste, puisque le cerveau ne saurait s’isoler de la réalité matérielle à l’ordre de laquelle il appartient.

La solution du problème n’est pas différente, pour M. Bergson, de celle des autres problèmes philosophiques : il s’agit de résoudre la question en termes de mouvement et de durée, de substituer au point de vue de la pure représentation celui de l’action, au point de vue de la simultanéité celui du temps. Le psychique représente la conscience. Un esprit pur, une conscience pure, sont possibles : il suffit de les concevoir comme des représentations pures. Dès que la conscience passe à l’action, un système nerveux est donné, et, dans notre monde, une portion de matière organisée, une réserve d’énergie solaire, sont également données pour nourrir, soutenir, défendre le système nerveux. En effet l’action, c’est l’action sur la matière, et on n’agit sur la matière que par de la matière. Le système nerveux figure le schéma de l’action, les lignes matérielles sur lesquelles elle court ; et les centres nerveux figurent l’insertion du choix, c’est-à-dire de la conscience, dans la matière. « Un état cérébral exprime simplement ce qu’il y a d’action naissante dans l’état psychologique correspondant » et c’est pourquoi « l’état psychologique en dit plus long que l’état cérébral[1] ». Il en dit plus long, car il dit, en outre de l’état cérébral, tout ce qu’avant cette action naissante la conscience impliquait d’indétermination et de représentation. Il en est du psychique chez M. Bergson comme de l’entendement divin chez Leibnitz, lieu des possibles, d’où ici le monde réel et là le corps constituent un passage à l’acte, mais chez M. Bergson un passage vraiment libre, tel qu’il pourrait s’accomplir chez le Dieu de Descartes plutôt que chez celui de Leibnitz, et avec cette différence cependant qu’il s’agit d’une liberté bornée, au moins momentanément, par certains obstacles : la vie représente un moyen plus ou moins réussi pour tourner ces obs-

  1. L’Évolution Créatrice, p. 285.