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PRÉFACE

passés en revue, on n’y trouvera pas pour cela un exposé méthodique de cette philosophie. Ce travail a été fait suffisamment par d’autres. Évidemment les livres de M. Bergson, à condition de ne pas se contenter d’une première lecture, sont plus clairs que toutes ces analyses, parfois déformées, inexactes ou tendancieuses. Mais on sait quels services a rendus le petit livre de M. Le Roy, lui-même philosophe original, qui s’est rallié comme James à la philosophie bergsonienne. C’est un guide clair, et, sauf en un point que nous verrons, assez sûr. On trouve même, plus élémentaire encore, un Bergson for Beginners : a Summary of His Philosophy, de Darcy B. Kitchen. Il va de soi que mon livre ne saurait rendre les mêmes services, et que les commençants qui l’ouvriraient perdraient leur temps.

Dans une première partie, j’ai cherché à isoler un peu artificiellement les directions d’une philosophie où l’idée même de direction a tant d’importance. Durée, changement, qualité, tension, action ne sont d’ailleurs que les points de vue d’une même méthode et les aspects successifs d’une même réalité.

Ces directions une fois aperçues, ce mouvement une fois épousé, une philosophie non complètement réalisée, mais complètement vivante, comporte trois démarches, s’explicite en trois parties.

D’abord une théorie de la connaissance spontanée sous ses deux formes : connaissance extérieure et connaissance intérieure, l’une et l’autre fondues d’ailleurs dans l’unité de l’être vivant et dans l’unité de la vie.

Ensuite une théorie de la connaissance réfléchie, ou méthode. Toute théorie de la méthode comporte, depuis Bacon, une pars destruens et une pars construens. La première expose et décompose les illusions de la connaissance spontanée, contre laquelle toute philosophie constitue une réaction. Illusions qui, pour M. Bergson, sont les illusions utiles et nécessaires de l’action. Cette logique de l’illusion utile n’est donc pas illusoire au point qu’elle ne soit portée par une vérité pratique. Mais la philosophie, qui ne se propose que connaissance pure et désintéressée, construit sa logique de la vérité en contrôlant l’illusion.

Cette logique de la vérité nous conduit à une idée du monde, — d’un monde qui dure. La cinquième partie, la principale de l’ouvrage, celle dont pourront se contenter les lecteurs pressés, dessine librement la figure du monde bergsonien. Je me permets d’insister sur le sens de ce mot : librement.