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L’ÉLAN VITAL

I
L’ÉLAN VITAL

La Dialectique Transcendentale divise le monde de la métaphysique en psychologie rationnelle, cosmologie rationnelle et théologie rationnelle, dénonce en toutes trois une contradiction et une impuissance invincibles. Cela n’a pas empêché la métaphysique de renaître après Kant et de prendre l’une ou l’autre de ces trois formes, ou plutôt des deux premières. Car il est remarquable que ni le panthéisme ni le théisme n’aient fourni au XIXe siècle de grandes philosophies, que les « processions » des Alexandrins, de Spinoza, de Malebranche n’y aient pas eu d’analogues. La philosophie de Leibnitz a été la dernière de ce qu’on pourrait appeler les philosophies en Dieu. Mais la philosophie de Fichte peut se définir comme une psychologie rationnelle. Et c’est surtout la figure de cosmologies rationnelles qu’ont prise les grands systèmes : Schelling, Hegel, Schopenhauer, Spencer.

Tout se passe comme si la philosophie de M. Bergson avait d’abord été jetée comme une série de réflexions critiques dans les marges de Spencer. Non point les réflexions critiques d’un esprit imbu de kantisme, tout ce qui, pour un élève de Lachelier, faisait des théories de Spencer une phénoménologie un peu primaire et une philosophie de deuxième zone. Mais les réflexions critiques d’un esprit qui, tournant le dos à Kant, épouse la direction de Spencer, trouve que cette direction Spencer l’a mal suivie, et qu’il a échoué. M. Bergson dans l’Évolution Créatrice parle de Spencer un peu comme le Socrate de Phédon parle d’Anaxagore. « Quand un penseur surgit qui annonça une doctrine d’évolution, où le progrès de la matière vers la perceptibilité serait retracé en même temps que la marche de l’esprit vers la rationalité, où serait suivie de degré en degré la complication des correspondances entre l’externe et l’interne, où le changement deviendrait enfin la substance même des choses, vers lui se tournèrent tous les regards[1]. »

  1. Évolution Créatrice, p. 393.