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vraie, ou du moins (nous retrouverons ce point délicat) n’est que relativement vraie. De deux contraires l’un seul porte l’accent du réel. « Tout ce qui apparaît comme positif au physicien et au géomètre deviendrait, de ce nouveau point de vue, interruption ou inversion de la positivité vraie, qu’il faudrait définir en termes psychologiques[1]. » L’un est positif, l’autre négatif, l’un est le plus, l’autre le moins, l’un est mouvement, l’autre interruption, mais cette interruption s’exprime par une descente, une inversion. « Inversion et interruption sont deux termes qui doivent être tenus pour synonymes[2]. » Il y a là un schème élémentaire que M. Bergson a transporté dans tous les ordres de pensée, un schème dynamique qui devient tout naturel dans une philosophie de la mobilité. Il rejoint d’ailleurs certaines directions de la métaphysique. Nous lui avons trouvé des analogies platoniciennes, mais il rappellerait mieux encore la philosophie alexandrine. Et ce sont là, probablement, des directions que reprendra et que creusera, en partie, la métaphysique qui naîtra de la science einsteinienne.

IV
LE CERCLE

Le bergsonisme nous apparaît, si l’on veut, comme un monisme dynamique qui se résoud dialectiquement en un dualisme statique. Et dès que nous envisageons (ce que nous évitons difficilement) cette philosophie à ce point de vue dialectique et dualiste, nous y reconnaissons certaines apparences de cercle vicieux. M. Bergson ne s’en défend pas. Il admet le cercle comme une nécessité, il nie qu’il soit toujours vicieux. Si l’on tirait une logique du bergsonisme, il faudrait y donner une place capitale à cette question du cercle. Comme le mouvement des corps dans la physique cartésienne, il semble que le mouvement de la pensée dans la logique bergsonienne soit un mouvement circulaire.

La logique de l’École voit volontiers dans le cercle une forme de la réduction à l’absurde. Mais le cercle n’apparaît absurde que parce qu’il porte sur des idées, des abstraits. La réalité ne comporte pas ces

  1. Évolution Créatrice, p. 227.
  2. Id., p. 219.