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nie »[1]. « Le sang des vallées rhénanes ne me permet pas de participer à la vie profonde des œuvres qui m’entourent »[2]. Tels sont les deux motifs de son désarroi : désillusion qui ne trouve à Athènes qu’une raison athénienne, désillusion qui ne trouve en lui qu’un cœur aride et sans écho pour une beauté qu’il ne peut que respecter froidement.

Il serait hors de propos de discuter longuement sur le « municipal » athénien. M. Barrès, dans une note élégante à la fin du Voyage, s’est effacé courtoisement, lui et son idée, devant la sage Anthinea de M. Maurras. On peut, je crois, concevoir la raison athénienne, celle de Phidias, de Sophocle, de Thucydide et de Platon sous trois points de vue : raison municipale comme le veut M. Barrès ; — raison d’autant plus universelle qu’elle est plus municipale, d’autant plus humaine qu’elle est plus attique, c’est la conception de M. Maurras. — On peut enfin la comprendre comme l’acte même du classique, le passage du municipal à l’humain, du local à l’universel, passage non définitif et stylisé, mais suivi dans son mouvement et sa fleur, maintenu dans sa ligne par un effort persévérant, aisé, réussi : passage qu’atteste et symbolise avec exactitude une Acropole comme celle où nous nous promenons aujourd’hui, ruinée, étudiée, ramenée à la fois par la ruine et par l’étude à une idée, à une épure, à une arithmétique frémissante que l’esprit épouse au point où elle va se résoudre en musique.

Les trois conceptions peuvent également se soutenir, et même elles se nourrissent fort bien l’une de l’autre, par des discussions et des rapprochements. M. Barrès, il est vrai, donne son localisme pour une impression personnelle et ne l’appuie que de raisons un peu faibles : le dialogue des Athéniens et des Méliens dans Thucydide (qui tient tout entier, au fond, dans cette identité : la guerre est la guerre) et quelques images comme celle-ci : « L’Athena colossale dressée en bronze par Phidias à l’entrée de l’Acropole enveloppait sa ville d’un sourire caressant : c’est un sourire électoral »[3]. Cette Athena ne souriait pas, non plus qu’aucune statue de Phidias ou de son école. Mais l’imagination ne serait-elle pas aussi complaisante à aimer dans le sourire des statues grecques une image de ce « caractère doux et bienveillant de la mer Égée » qui répand Athènes et la Grèce vers le dehors par le palier incliné de l’hellénisme ?

  1. Le Voyage de Sparte, p. 67.
  2. Id., p. 64.
  3. Id., p. 62.