Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume II.djvu/309

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« politique rhénane » sera loyale. « L’Allemagne se tient pour un marteau qui brisera l’esprit particulier de chaque nation et dont les coups puissants forgeront une forme nouvelle au monde. Et nous, France, génie de sympathie, qui fûmes toujours émerveillés de la variété de l’esprit, nous voulons des puissances qui s’équilibrent et qui jouissent de leur liberté[1]. » Ce dut être un grand sujet d’encouragement pour M. Barrès que de voir ses vieilles idées, celles de Sous l’œil des Barbares, de l’Ennemi des Lois et des Déracinés rejointes si exactement par ce que Péguy eût appelé la mystique de l’Entente, telle que l’ont formulée tant de discours en français, en anglais, en italien, et peut-être en japonais et en portugais. Le bel arbre, avec sa logique vivante, né dans ce pot de fleur de l’égoculture que M. Charles Dupuy raillait autrefois à la Chambre, ne va-t-il pas, après la France, ombrager toute la terre ?

M. Barrès n’en doute pas : « Il est clair pour moi que ce qu’il y a eu de littérature nationaliste en France, de 1870 à 1914, et surtout dans ces dernières années, sera considéré comme classique et fera l’honneur de l’époque qui vient de s’écouler ; mais on demandera à cette littérature nationaliste de s’élargir et de devenir capable, en débordant nos frontières, de conquérir le monde, je veux dire de véhiculer la pensée française à travers tous les peuples[2]. » Tout nationalisme implique un impérialisme en puissance et il se connaît que Napoléon a été le professeur d’énergie de M. Barrès. Mais si nous voulons sortir du verbalisme et des banalités oratoires où n’importe quoi peut signifier n’importe quoi, nous verrons là peut-être une certaine confusion. Un nationalisme, quel qu’il soit, ne se conçoit comme nationalisme que de l’intérieur d’un pays, il ne devient article d’exportation qu’en cessant en partie d’être lui-même, en se dénationalisant dans une certaine mesure. Ni Athènes ni Rome n’ont exporté du nationalisme S’il y a au XVIIe siècle quelque chose qui réponde à ce qu’on appelle aujourd’hui nationalisme, il faut le voir dans des mouvements et des idées d’ordre religieux qui, si opposés qu’ils fussent entre eux, jansénisme, gallicanisme, révocation de l’Édit de Nantes, tendaient par des voies différentes à purifier d’éléments étrangers l’unité morale et religieuse de la France. Ils n’ont exercé à l’extérieur aucune influence utile mais provoqué des haines dont nous avons souffert sans béné-

  1. Sur le Chemin de l’Asie, p. 135.
  2. L’Amitié des Tranchées, p. 251.