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à l’existence active et utile qui fut la sienne pendant la guerre. Mais on dirait qu’elle s’est transposée dans sa littérature avec d’autant plus d’insistance malicieuse qu’il l’éliminait mieux de son humanité. On voit cette littérature envahie par une sorte de plante des ruines, ce soufflé décoratif dont Chateaubriand fut le fondateur et le maître, mais qui est aussi dangereux pour des Épigones que le dessin de Raphaël pour des imitateurs.

Je ne pense pas, par exemple, que personne soit insensible à la faute de goût qui règne dans cette page, d’ailleurs bien dessinée, et je ne crois pas nécessaire, après ce que je viens de dire, de souligner les origines et le sens de cette faute : « Quel tableau magnifique présentait, mercredi matin, la chapelle des Carmes à l’Institut Catholique, tandis que Mgr Baudrillart célébrait la messe devant l’archevêque de Paris, pour bénir les débuts de l’Œuvre des veuves de la guerre ! Sur les pilastres et les lambris de marbre noir, assortis avec les vêtements sacerdotaux de l’officiant, l’or et la flamme de l’autel faisaient une harmonie profonde, complétée à gauche par la pourpre du cardinal largement étalée, où descendait un rais de soleil, et à droite par un groupe aux teintes sévères de jeunes lévites chanteurs. La piété du célébrant, l’émotion paternelle de l’éminent prélat, l’enthousiasme du maître de chapelle, qui menait les chœurs en modelant avec ses deux mains, dans les airs les formes pures de ces beaux hymnes, tantôt dilatées, tantôt resserrées ; enfin, la douleur de ces trois ou quatre cents femmes agenouillées et formant comme une mer immobile de voiles noirs et de bandeaux blancs, c’était un chef-d’œuvre de grandeur simple et grave, un des plus émouvants spectacles que puisse contempler un Français, le complément de nos champs de bataille[1]. » Huysmans et Léon Bloy eussent fait ici de fameuses grimaces, et si Durtal paraît à la messe un insupportable personnage alors que M. Barrès s’y tient en homme décoratif, sympathique, honneur du banc d’oeuvres, il n’en est pas moins vrai que le tableau d’une cérémonie religieuse par Huysmans sera aussi vivement pittoresque que celui-là est artificiellement pompeux.

La faute de goût n’apparaît pas toujours avec cette évidence, et je ne suis nullement insensible à tout ce que M. Barrès a semé d’émouvant et de joli dans son journalisme quotidien. Il y a dans les Saints de France d’aimables chapelles de Mois de Marie. Avec toutes ces

  1. Les Voyages de Lorraine et d’Artois.