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que la France n’oubliait pas : ils l’ont attesté pour la France et pour l’Allemagne. Ils ont renforcé pour leur part l’esprit guerrier des deux côtés de la frontière ; la prédication nationaliste de M. Barrès a contribué à monter le ton défensif de la France, et aussi à monter le ton offensif de l’Allemagne. Les deux effets sont indiscernablement mêlés, ne sauraient pas plus se séparer que le défensif et l’offensif, eux-mêmes, ces abstraits oratoires. Il y a là tout un ordre de réflexions sur lesquelles il serait délicat d’appuyer si peu de temps après la guerre, réflexions dont l’heure viendra naturellement. Nulle de leurs pointes ne saurait d’ailleurs se retourner contre M. Barrès. Lorrain il a suivi une tradition lorraine, Français il a maintenu une tradition française. Tout devoir, toute tâche, toute vie, individuelle ou nationale, ne font dans les ténèbres que le cercle éclairé d’une lampe : au delà se multiplient d’autres cercles et s’élargit la nuit. Il suffit que chaque cercle porte sa part de pensée et rayonne avec pureté le feu particulier de son cœur.

Créateur d’une sensibilité nationale qu’il essaya de cristalliser en doctrine nationaliste, révélateur de la Lorraine, définiteur des marches de l’Est, héritier de Déroulède, il était donc naturel que M. Barrès fût dès le premier jour poussé au premier plan de la France en guerre. « Trente fois, écrit-il dans les Amitiés Françaises au sujet de ses échecs politiques, j’ai vu m’échapper, faute d’un point, ma part d’honneur. Ce n’était pas des titres, des faveurs, des places ; c’était de suivre dans toutes ses étapes la bataille et de tenir plus avant les armes que j’avais mieux qu’un autre forgées ». L’un et l’autre s’excluent pourtant comme sentir le plus possible et analyser le plus possible. Incapable par son âge et sa santé de faire réellement la seconde tâche, il appliqua à la première la curiosité d’Un Homme Libre et le patriotisme de Scènes et Doctrines. Journaliste presque quotidien pendant quatre ans, assumant comme président de sociétés actives un labeur considérable, il a rendu pendant la guerre de bons services, il s’est fait l’organe de l’intérêt général, a eu raison souvent, s’est trompé quelquefois, comme tout le monde. Sans qu’il y ait lieu de s’exalter lyriquement sur un tel effort, à une époque où l’on gagnait par d’autres moyens ce que M. Barrès dans le Voyage de Sparte appelle « une mémoire bien assise et resplendissante au milieu de la cité », on doit témoigner à l’œuvre et aux œuvres de guerre de M. Barrès une haute estime.

Reste à apprécier en elle-même son œuvre littéraire de guerre,