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On trouvera ingénieuse et vivante l’image des « petites explosions ». Mais l’auteur qui en est content veut l’utiliser en faisant une automobile du char littérairement périmé de l’État. Soucieux de ne point le faire naviguer sur un volcan, il tombe dans le travers inverse, celui de la métaphore appliquée, et nous voyons une imagination de chauffeur tourner péniblement, comme ces volants, dans le vide. Voyez au contraire la belle vie d’une métaphore qui ne se suit pas, d’une image en parties ou en atittudes successives : « Cette infernale chaudière fit la force de Jules Delahaye. Il devait s’évanouir ou se griser de ces vapeurs. Ce désarroi de l’assemblée lui révéla que sa mission passait en grandeur ses plus hautes espérances. Il crut libérer de cette tourbe son pays. Debout à la proue de sa barque il guettait les brisants, cherchait un passage »[1]. Et celle-ci, d’une brisure incomparable : « Barthou aurait-il cassé les reins du Parlement ? Cette assemblée qui sort de la salle des séances, ne semble plus un animal avec une vigoureuse épine dorsale, mais un flot d’eau sale qui se répand »[2].

Ce que M. Barrès a écrit dans cet ordre de plus étonnant, c’est la suite sur l’Agonie du baron de Reinach. L’image du « rat empoisonné » se continue, s’interrompt, reprend pendant cent pages sous toutes les formes. « Il s’enfoncait en tâtonnant dans un cul-de-sac où de tous les côtés des parois infranchissables grandissaient et le resserraient »[3]. « Toute la soirée, il galopa dans les ténèbres comme un rat empoisonné derrière la boiserie. Quel sinistre accueil à toutes les issues que sa fièvre cherchait ! Plus âpres peut-être que ses adversaires, ses complices, qui soupçonnaient ou redoutaient ses dénonciations, le guettaient pour l’assommer d’un coup de savate »[4]. « Le baron Jacques de Reinach rappelle ces gros rats qui, ayant gobé la boulette, s’en vont mourir derrière une boiserie d’où leur cadavre irrité empoisonne ses empoisonneurs. Il faut quasi démolir la maison. C’est à quoi soudain s’employèrent avec rage les Français »[5]. On dirait cette partie de Leurs Figures inspirée par la course à l’abime de la Damnation de Faust, scandée par le Has ! has ! de Méphistophélès. C’est le rat empoisonné de la chanson des étudiants (Certain rat dans une cuisine) qui d’affo-

  1. Leurs Figures, p. 104.
  2. Id., p. 83.
  3. Id., p. 60.
  4. Id., p. 69.
  5. Id., p. 113.