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cette affaire, il l’a digérée, il l’a subie, il l’a construite à l’air libre, dans ses promenades de Sion où il se trouvait, comme Baillard lui-même, toujours seul avec ses vieilles imaginations. Il l’a pensée en profondeur, en ses propres profondeurs. Comme des eaux nouvelles suivent sur une terre le lit creusé par les eaux anciennes, il a senti l’aventure intérieure de Baillard épouser, à mesure qu’il l’incorporait au spectacle de la même colline familière, la pente dessinée en lui par ses anciennes aventures intérieures. Et c’est ainsi qu’il est arrivé spontanément à voir et à vivre en Baillard le problème inverse du problème de Bouteiller. Léopold Baillard, l’homme de la Vierge de Sion qui succède ici aux anciennes divinités romaines et gauloises, l’homme de La Colline Inspirée, ce sont les voix de la terre à l’état autochtone, les voix intérieures écoutées librement, les voix solitaires acceptées docilement, tout un mysticisme indigène auquel sont opposés l’ordre hiérarchique extérieur, la discipline catholique, c’est-à-dire universelle, et que vient combattre sur ce même terrain, envoyé de plus loin encore que l’universitaire parisien Bouteiller, un soldat de Rome, le Père Aubry. Les dangers de ces voix intérieures pures, pense M. Barrès qui les a épousées sous leur forme idéale si complaisamment, ne sont-ils pas aussi redoutables que les dangers de la discipline extérieure, importée ? Oui, sans doute. Car M. Barrès qui a défendu la Lorraine contre le péril de Bouteiller, est reconnaissant à Rome de défendre la Lorraine contre le péril de Baillard.

Ainsi La Colline Inspirée, comme les Déracinés, se rattache à une littérature de défense, à une littérature de bastions. Mais défense, en somme, de M. Barrès contre les puissances dont il se sent habité. On croira peut-être un peu forcé ce rapprochement entre M. Barrès et Léopold Baillard. Mais c’est lui-même qui nous met sur la voie. On retrouve dans les dernières pages de Du Sang, de la Volupté et de la Mort, Le Regard sur la Prairie, les thèmes de La Colline Inspirée vécus bien avant que M. Barrès songeât à Baillard et aux drames de la vie religieuse, par une conscience littéraire.

Le voyage de Baillard auprès de Vintras, le « mythe à sa portée » que le prêtre lorrain rapporte à Notre-Dame de Sion, ils sont figurés assez exactement dans le voyage de M. Barrès à Bayreuth, auprès du prophète Wagner, et dans l’éthique nouvelle qu’il en rapporte.

Parsifal contient au regard d’un néophyte tous les miracles de Vintras à Tilly : « Qu’elle était triste et belle cette pluie dont tout le sol parut parfumé et fané ! » Puis vient la limite du pathétique : « Gun-