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qu’ait réalisée M. Barrès. Je trouve sur ce jeune Alsacien habillé en soldat allemand quelque chose de l’esthétique dont M. Barrès, dans le Voyage de Sparte, va chercher la formule à Lacédémone, « une mémoire bien assise et resplendissante », une image de cette vertu militaire simple, qui anime le Doryphore de Polyctète. M. Ehrmann n’est pas indigne des jeunes guerriers rhénans qui donnent sous la Révolution et l’Empire leur figure propre à l’Alsace et à la Lorraine : « Dans une époque où tant d’hommes ne se connaissent pas de but, celui-là, du moins, sait à quoi faire servir sa virilité, sa jeunesse, ses forces d’amour et de haine. »[1]

XVI
LÉOPOLD BAILLARD

Il n’existe, semble-t-il, dans l’œuvre de M. Barrès que deux personnages traités longuement, objectivement, de façon complaisante et volumineuse, et qui, l’un et l’autre, témoignent vraiment d’un génie créateur : c’est Bouteiller et Léopold Baillard. Mais en Bouteiller, figure de l’Adversaire, M. Barrès a logé ses impossibilités et ses haines naturelles, tandis que Léopold Baillard, si étranger qu’il soit par bien des points à la nature de M. Barrès et si artificiel que puisse à première vue paraître le rapprochement, est fait tout de même avec certaines parties profondes de M. Barrès lui-même.

Notons que Bouteiller et Baillard ont certains points communs, ou du moins témoignent chez M. Barrès d’une même préoccupation. L’un et l’autre sont deux figures du pouvoir spirituel, deux tentatives pour établir un pouvoir spirituel personnel, deux hommes sortis du peuple chez qui l’esprit religieux est vivant, la source spirituelle présente. Ils répondent à des préoccupations qui ont pris chez M, Barrès une place sans cesse grandissante. M. Barrès a été amené à écrire La Colline Inspirée précisément par l’aspect religieux qu’ont revêtu

  1. Au Service de l’Allemagne, p. 116.