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tation, de philosophie, de force et de santé morale ! Racadot s’autorise pour tuer de l’arbre des Invalides, comme Greslou cherchait les raisons de sa cruauté dans la pensée d’Adrien Sixte. Le platane de M. Taine, dit-il, « n’a pu se conserver à l’existence qu’en opprimant deux de ses voisins » et sans doute un troisième « que l’administration des promenades a dû faire enlever ». Que Rœmerspacher devienne un beau platane lorrain, Sturel un fin peuplier mosellan, Saint-Phlin un aimable mirabellier pour les confitures de famille et les desserts de M. Barrès, il sera, lui, Racadot, le platane que l’administration judiciaire et pénitenciaire devra faire enlever. Racadot a « césarisé » et il a échoué. C’est un des millions de Napoléons manqués dont les cadavres tragiques ont engraissé le sol et nourri les fleurs passionnées du siècle, et quand, dans sa conférence de la fin des Déracinés, il affirme que « tout être a le droit de césariser », Rœmerspacher fait remarquer qu’il leur rend la conférence de Sturel au tombeau de Napoléon.

Mais plus encore que ses paroles fiévreuses au tombeau de l’Empereur, les ardeurs de Sturel dans le lit d’Astiné Aravian sont mêlées d’indissoluble manière à la destinée de Racadot et à la tragique soirée de Billancourt, aux deux têtes coupées du Bois de Boulogne et de la Roquette. Sturel qui, des sept, est le délégué à la jouissance, doit avoir pour correspondant et pour associé le délégué à l’assassinat. L’assassinat, la suppression d’autrui, sont donnés dans la logique d’une société individualiste. Mais la mort, — et M. Barrès l’a senti souvent de puissante façon, — est donnée dans la logique de l’amour. Racadot paiera sur l’échafaud, comme il a payé à la Vraie République.

Il paiera la traite tirée par Sturel. M. Barrès l’a expressément voulu. (Peut-être l’auteur de l’Ennemi des Lois a-t-il conçu cette idée après avoir assisté, comme reporter du Journal, à l’exécution d’Émile Henry. Et Fanfournot est lié d’un autre côté à la destinée de Sturel, dont la tragédie idéale s’achemine vers un théâtre de verdure entre ces deux tragédies de chair et de sang.) Sturel a sur l’une de ses mains le sang de Racadot, sur l’autre main le sang d’Astiné. C’est lui qui, pour ne pas être humilié par M. de Nelles devant Thérèse Alison, empêche Racadot de toucher l’argent qui l’aurait sauvé. Et, à Billancourt, il a croisé dans la voiture heureuse qui l’emportait avec Thérèse le groupe terrible d’Astiné et de ses deux camarades assassins. Il les a reconnus, et « quand il passait avec son bonheur, il les a laissés dans le