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et cela déteint sur Sturel lorsque celui-ci, voyant sa maîtresse devenir la femme de son ami, pense : « À l’émotivité Rœmerspacher fera sa part, tandis que par elle je me laissais envahir et détruire. » Ces germanismes, tantôt M. Barrès les étale, tantôt il les élève à une belle figure gœthienne, tantôt il s’en moque. Ils ne déplaisent pas sur ces figures lorraines.

Ce que Rœmerspacher appelle la vie affective, révélée par Thérèse, c’est sans doute un ensemble d’habitudes heureuses qui lui laisseront la tête calme. Mais enfin cela vient à point pour nous montrer que sur les sept Lorrains il n’y aura pas eu un intellectuel pur. Rœmerspacher, qui représente en leur groupe les valeurs de lucidité, de raison, d’équilibre, applique en somme ces valeurs à l’économie de sa vie plutôt qu’à l’objet de ses études, sur lesquelles M. Barrès ne nous renseigne que de quelques mots en passant. Celui des sept qui aura le mieux réussi sa vie l’aura construite avec de la terre lorraine pour soutien invisible, de l’intelligence pour plaisir et pour but, du bonheur pour fruit. Il aura été un exemplaire complet, solide, un peu gros, d’humanité. Dans le Roman de l’Énergie nationale, il tient le rôle du raisonneur, et nul doute que pour M. Barrès ce ne soit lui qui pense le plus juste. Il refuse de faire de l’action politique avec son intelligence, et la vie comble, comme cela arrive souvent, une intelligence qui était disposée à se satisfaire d’elle-même et de peu. Il met en jeu, probablement, celles des possibilités lorraines que M. Barrès eût vu se développer en lui-même, s’il eût été maître de son destin, avec le plus de complaisance, celles qui aident le mieux à construire une belle vie, solide et spacieuse comme une maison.

X
SAINT-PHLIN

Saint-Phlin, c’est une des terres, ou plutôt c’est la terre de M. Barrès. M. Barrès a incorporé Gallant de Saint-Phlin à un morceau de Lorraine, et c’est la Lorraine que goûte en lui le voluptueux Sturel. M. Barrès nous a dit que tout le meilleur de sa philosophie tenait