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V
LES RACINES BARRÉSIENNES DES DÉRACINÉS

L’Ennemi des Lois et les Déracinés posent en effet sur des plans différents le même problème, le seul après tout qu’ait jamais traité M. Barrès : celui de la formation d’un être. Le Culte du Moi le traitait du point de vue d’un individu. Les Bastions de l’Est le traitent du point de vue de la collectivité lorraine. Individu et collectivité sont d’ailleurs, ici, des opprimés qui se libèrent, à qui l’on propose une méthode pour se libérer. Le Roman de l’Énergie Nationale, et particulièrement les Déracinés, qui en forment le massif solide, analysent un de ces états d’oppression, l’état de sept individus, victimes d’une mauvaise méthode d’éducation, la méthode contraire à celle qui aboutit au verger idéal de l’Ennemi des Lois, contraire à celle qui, mise au point autour d’un petit garçon de chair et d’os, s’éclaircira avec les Amitiés Françaises.

« Nos collégiens, disait l’Ennemi des Lois, surchargés d’acquisitions intellectuelles qui demeurent en eux des notions, non des façons de sentir, alourdis d’opinions qui ne sont pas dans le sens de leur propre fonds, réapprendraient du chien la belle aisance, le don d’écouter l’instinct de leur moi. Faire des actes spontanés, suivre sans lutte son âme perfectionnée par tant de siècles d’éducation morale, user enfin de ces beaux trésors amassés, ah ! c’est la méthode de la vie bienheureuse[1]. »

Les Amitiés Françaises ne manquent point de donner au jeune Philippe ce moniteur, un professeur velu. C’est Simon le chien, appelé à tenir auprès du petit garçon une place analogue à celle de l’autre Simon près du Philippe de l’Homme Libre. Simon le chien donne au petit Philippe des leçons non seulement d’aisance et d’instinct, mais de nationalisme. C’est un chien français, peut-être lorrain, qui hérisse son jeune maître contre l’étrangère allemande, la Fraulein. Ainsi Philippe a appris du chien à écouter l’instinct de son moi individuel autant qu’ethnique. On peut placer les Amitiés Françaises dans le

  1. L’Ennemi des Lois, p. 206.